«Nous gouverner pour tout changer»

«Nous gouverner pour tout changer» : Les Candidatures d'Unité Populaire (CUP) et le processus d'indépendance en Catalogne

Les élections régionales en Catalogne, le 27 septembre dernier, ont redistribué les cartes du scénario politique, après une campagne électorale marquée par un caractère plébiscitaire pour ou contre l’indépendance. Le taux de participation a été de 77 % et les listes indépendantistes ont remporté la majorité absolue en nombre de sièges (72 député·e·s sur 135) et frisent de près la majorité absolue des voix (47,75 %). 

Ce vote, à caractère volontairement plébiscitaire, s’inscrit dans la suite du référendum du 9 novembre 2014, dans le cadre duquel près de 80 % des votant·e·s se sont prononcés en faveur de l’indépendance. Un scrutin déclaré nul, interdit et persécuté par l’État espagnol.

image Jordi Boixareu

Image Jordi Boixareu

 

La contradiction nationale : Catalogne ou Etat espagnol ?

 

La nouvelle majorité parlementaire en faveur de l’indépendance est pourtant composée par deux courants aux programmes politiques divergents. Le premier se nomme Junts pel Si (Ensemble pour le Oui), coalition hétéroclite qui réuni sociaux-démocrates (ERC) et grande bourgeoisie souverainiste (CiU) avec des organisations de la société civile en faveur de l’indépendance (Omnium et Assemblea Nacional Catalana). Cette liste, dont l’essentiel du programme est de mener la région à l’indépendance en 18 mois, a obtenu 39,5 % des voix et 62 sièges. Le deuxième courant est celui représenté par le mouvement anticapitaliste et féministe des Candidatures d’Unité Populaire (CUP), qui triple ses voix par rapport à 2012 et passe de 3 à 10 député·e·s.

Ces élections consacrent également la débâcle des partis unionistes historiques. Le parti populaire (PP), du premier ministre espagnol Mariano Rajoy, ne récolte que 8,5 % des voix, alors que le Parti socialiste catalan, section régionale du PSOE, ne fait que 13 %. Le chef de file de l’opposition à l’indépendance est désormais le parti Ciutadans, un parti régionaliste fondé par Albert Rivera, qui malgré son passé ouvertement fasciste se présente aujourd’hui à la tête d’un parti avec un discours clairement espagnoliste, mais sur des positions plutôt centristes.

La liste soutenue par Podemos sort également perdante du scrutin avec seulement 9 % des voix et 11 député·e·s, soit deux de moins que la coalition similaire aux élections de 2012. La coalition Catalunya si que es pot (CSQP), paie en particulier le prix de son discours ambigu sur la question de l’indépendance, alors qu’il s’agissait de la question principale à l’origine même de ces élections anticipée. CSQP est en effet favorable au droit à l’autodétermination des catalan·e·s et à la tenue d’un referendum sur l’indépendance, bien que dans le cadre d’un tel vote la formation a déjà déclaré qu’elle votera pour que la région reste subordonnée au Gouvernement central de Madrid.

 

 

La contradiction stratégique à gauche : CUP ou Podemos ?

 

En marge des divergences sur la question de l’indépendance, les CUP et le CSQP étaient les seules deux listes à avoir mené une campagne fondée sur un programme de défense des classes populaires. Bien que n’ayant pas une stratégie commune pour la mise en œuvre de cet objectif, les deux formations partagent l’exigence de construire une société catalane plus juste et égalitaire et, ensemble, récoltent presque 18 % des voix.

Lluis Rabell, candidat de CSQP, a défendu un programme électoral sur 25 priorités, parmi lesquelles se trouvent la mise en place d’une banque publique régionale, la renégociation de l’impôt versé à Madrid, la défense de salaires dignes et la lutte contre la corruption et le réchauffement climatique. Gemma Usabart, secrétaire de Podemos, a mis l’accent sur le fait que Podemos et les listes auxquelles le mouvement participe sont les seules forces politiques de l’Etat espagnol qui défendent le droit à l’autodétermination et qui revendiquent la plurinationalité de l’Etat.

De son côté les CUP, avec le slogan «Gouvernons-nous», a mené une campagne en affichant son anticapitalisme et en revendiquant une «rupture démocratique» avec le régime de transition mis en place après la mort du dictateur Franco et la Constitution (monarchique) de 1978. Les élections du 27 septembre ont été envisagées par les CUP, ainsi que par toute la gauche indépendantiste, comme l’occasion d’exprimer la volonté d’un secteur croissant des catalan·e·s de «tout changer» en s’appuyant sur le «pouvoir populaire».

 

 

Quel horizon pour le processus d’émancipation ?

 

L’horizon indépendantiste qui s’est ouvert ce 27 septembre est l’opportunité pour construire une réponse immédiate et réelle à l’exploitation, la précarité du travail, l’exclusion sociale et à la discrimination de genre, que comportent les politiques imposées jusqu’à présent par les Gouvernements espagnols post-franquistes. Il ne s’agit pas, pour les CUP et leur base sociale d’appuyer un processus de souveraineté interclassiste, mais bien au contraire de défendre un processus indépendantiste dirigé par et pour les classes populaires. Ce sont elles et les organisations de classe qui doivent conduire le processus de rupture avec les États oppresseurs, le système capitaliste et le patriarcat.

La poussée électorale des CUP, qui rentrent pour la première fois au Parlement de la Communauté Autonome Catalane en 2012, s’intègre dans une trajectoire, celle de l’ensemble de la gauche indépendantiste, qui vient de loin. Un long chemin et une présence constante dans les rues, qui l’ont conduite là où elle se trouve aujourd’hui. En trois ans de présence institutionnelle, malgré toute les contradictions que cela comporte, les CUP ont su s’affirmer comme la voix des sans voix, amenant au sein de l’hémicycle les luttes menées dans la rue et qui, avec la crise, se sont intensifiées. Même dans ce cadre, les CUP n’ont pas cessé de relayer leur message constant : il ne peut y avoir de changement politique et social dans les institutions si ce changement n’est pas construit et dynamisé dans les rues.

Stéphanie Perez