Penser global, intégrer local

Début janvier 2015, la ville de New York a initié la production d’une carte d’identité municipale (IDNYC) visant, selon les termes du maire démocrate Bill de Blasio, à sortir les sans-papiers de l’ombre. Cette initiative locale n’a pas reçu l’attention qu’elle méritait alors qu’elle représente, peut-être, un premier pas vers la réalisation d’une forme nouvelle de citoyenneté. 

A première vue, la carte d’identité new-yorkaise ressemble à n’importe quel document chargé de prouver l’identité de son détenteur ou de sa détentrice : un portrait, un nom, un prénom, une signature, etc. La catégorie « genre », remplaçant l’habituel « sexe », tout comme la catégorie « langue de préférence » sont pourtant autant d’indices de la particularité de cet objet : être au service de son porteur et non de l’institution qui l’émet.

 

 

Améliorer l’existence quotidienne de tous les résident·e·s

 

L’objectif principal de ce document d’identité est en effet celui d’améliorer l’existence quotidienne de résident·e·s new-yorkais (immigrant·e·s, SDF, personnes transgenres) qui se trouvaient, en l’absence de pièce d’identité, dans l’incapacité de consulter un médecin, d’ouvrir un compte bancaire ou de pénétrer dans un établissement scolaire…

Délivré depuis janvier 2015 par la municipalité, ce document peut être commandé par tou·te·s les résident·e·s de la ville âgé·e·s de quatorze ans et plus. Chacun·e a le droit de s’inscrire selon le genre qu’il·elle estime être le sien et le statut d’immigration n’est pas pris en compte. Il suffit à la personne qui souhaite se procurer ce document de prouver qu’il vit à New York au moyen d’un contrat de bail ou de bulletins de versement de son loyer. L’identité doit également être établie mais, à la différence des procédures administratives habituelles, un certain nombre de documents cumulables peuvent pallier à l’absence de passeport (acte de naissance, bulletin scolaire, permis de conduire, etc.)

Une fois obtenue, la carte d’identification municipale permet à ses détenteurs·trices d’accéder aux services offerts par la Ville, d’emprunter des ouvrages dans les bibliothèques municipales et d’ouvrir un compte auprès de certaines banques locales. Elle garantit l’admission dans les bâtiments municipaux comme les écoles publiques et sert de pièce d’identité lors d’une interaction avec la police.

 

 

Une carte d’identité pour tous et toutes

 

Afin d’encourager l’ensemble de la population new-yorkaise à acquérir ce document, évitant ainsi une possible stigmatisation de ceux-celles qui sont en sa possession, la municipalité propose des avantages à ses détenteurs·trices comme, par exemple, des réductions dans les musées de la ville, au zoo municipal, dans certaines salles de concerts ou dans les jardins botaniques. Depuis son lancement début 2015, 400 000 personnes ont ainsi demandé et obtenu cette carte d’identité municipale.

New York n’est pas la première ville étasunienne à avoir mis en place une mesure de ce type. New Haven, une ville progressiste réputée pour ses politiques novatrices à l’égard des immigrant·e·s, légaux ou non, a commencé à émettre une carte d’identité municipale en 2007 et a ensuite été imitée par d’autres municipalités parmi lesquelles San Francisco, Asbury Park, New Jersey, Washington D.C. et finalement New York.

Ces initiatives sont rendues possibles du fait des particularités du fédéralisme américain. Protéger la santé et le bien être de tous les résident·e·s est, dans certains Etats, une tâche attribuée aux municipalités. Ainsi, bien que la gestion de l’immigration soit une prérogative fédérale, certaines villes peuvent mettre en place des politiques qui, sans donner de droits supplémentaires aux sans-papiers, améliorent l’accès aux services auxquels ils ont droit du fait de leur présence sur le sol des USA.

 

 

Valoriser le lieu de résidence et faciliter l’accès aux droits

 

Le but de ces politiques est de permettre l’intégration et la participation à la vie locale, de rendre plus facile l’accès aux services municipaux (écoles publiques, cliniques municipales, bibliothèques, etc.) et la circulation en ville des résident-e-s sans-papiers. Le gain pour ces personnes peut sembler limité et un peu dérisoire, la carte d’identification municipale ne permettant pas, par exemple, de travailler légalement ou de garantir la non-expulsion du territoire.

Pourtant, le geste de ces villes est important et doit servir d’exemple comme c’est déjà le cas pour une municipalité espagnole. Il permet, d’une part, de rendre la vie quotidienne des sans-papiers plus aisée et de leur apporter un soutien symbolique non négligeable. Il est, d’autre part, une première tentative de valoriser le lieu de résidence comme critère déterminant l’accès à des droits qui pourrait, à terme, remplacer celui de l’appartenance nationale, critère inepte et responsable de la mise à l’écart de la vie publique d’un nombre incalculable d’être humains.

Laure Piguet