Turquie

Turquie : L'AKP se renforce avec la complicité de l'Etat Islamique

En moins de six mois, la Turquie a réélu deux fois son parlement. En recourant au chantage et à la violence, l’AKP au pouvoir a obtenu une demi-victoire. Mais le peuple kurde et la gauche démocratique kurde n’ont pas été défaits. Bien au contraire, ils sont loin d’avoir dit leur dernier mot.

 Le 6 juin, le Parti démocratique des peuples (HDP) avait obtenu 13 % des voix, véritable victoire pour ce parti unitaire nouvellement fondé. Le Parti du développement et de la justice (AKP) avait perdu sa majorité, acquise depuis 2002. Au vu de cette défaite, le Président de la République, Erdogan, déclarant impossible la constitution d’une coalition stable, a appelé à de nouvelles élections pour assurer 400 sièges à l’AKP.

 

Manifestation de solidarité avec les victimes de l'attentat de Suruç , Londres, 25 juillet 2015. Photo David Holz

 

Reprise de la guerre contre les Kurdes

Dès cette annonce, un premier attentat-suicide a eu lieu, le 23 juillet 2015, à Suruç, ville kurde en face de Kobané. Revendiqué par l’Etat islamique (EI) : 33 personnes, tou·te·s proches de l’extrême gauche turque, ont trouvé la mort. Un tel attentat n’aurait pu avoir lieu sans la complicité des services secrets turcs, qui supervisent le passage des militant·e·s de l’EI et surveillent le moindre mouvement dans la région.

Quelques jours après, l’armée turque bombardait les bases du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). La trêve entre le PKK et l’armée, respectée depuis plus de trois ans, a ainsi pris fin. En réponse, le PKK a décrété des zones d’autogouvernement par le peuple. Face au soutien populaire et des municipalités, le régime a décrété l’état d’exception dans toutes les villes concernées et déployé des troupes qui ont causé la mort de dizaines de civils.

Dans ses meetings, l’AKP a annoncé le retour aux années 1990, connues pour les exécutions sommaires et les disparitions forcées, s’il venait à perdre de nouveau les élections. Les Foyers ottomans, forces paramilitaires de l’AKP, ont pris pour cible les Kurdes à « l’ouest du pays » et ont saccagé leurs commerces. Même des journaux libéraux, en désaccord avec les politiques de l’AKP, ont été attaqués par ces nervis.

 

 

Les élections de la peur

Le 10 octobre 2015, un double attentat, revendiqué par l’EI, a ensanglanté le cœur d’Ankara, faisant plus de 100 mort·e·s. Cette fois-ci, c’est la manifestation unitaire pour la paix qui était ciblée. Encore une fois, l'attentat n’aurait jamais pu avoir lieu sans la complicité du régime qui connaissait depuis plusieurs mois l’identité de ses auteurs, officiellement « recherchés ».

Du mois de juin au 1er novembre 2015, de nombreux élu·e·s des municipalités kurdes et des milliers de militant·e·s du HDP ont été arrêtés. Les élections ont donc eu lieu dans des conditions de guerre, imposées par l’AKP, qui a ainsi obtenu une majorité parlementaire avec 49 % des suffrages.

Ce succès s’explique par le drainage des voix de deux partis ultranationalistes et des courants religieux les plus radicaux par l’AKP, qui a pu réussir à créer d’importantes scissions au sein de ces forces. Parmi les Kurdes et les indécis·es, certain·e·s ont aussi voté pour l’AKP par peur de la guerre civile, espérant ainsi favoriser la reprise de négociations de paix avec le PKK et le maintien d’une certaine stabilité économique.

 

 

Une victoire à la Pyrrhus

Cette victoire électorale de l’AKP a ont donc été celle de la terreur d’Etat pour assurer le monopole du pouvoir à Erdogan et à son parti. Cependant, le HDP a pu dépasser, malgré le climat de violence, de répression et d’intimidation, le quorum de 10 %. Il s’agit donc d’une victoire, certes moins importante qu’en juin 2015, mais dans un contexte de terreur d’Etat beaucoup plus difficile. En particulier, le HDP n’a pas perdu de voix dans les villes où l’autogouvernement par le peuple avait été décrété par le PKK.

Dans le futur, le mouvement d’émancipation kurde continuera donc à élargir les zones d’autogouvernement, provoquant un disfonctionnement du régime, rendu illégitime dans ces régions. Certes, la guerre va reprendre en Turquie; d’ailleurs, depuis le début de ce mois, l’AKP essaie de négocier une intervention terrestre au nord de la Syrie. Il se déclare prêt à tout mettre en œuvre pour empêcher le maintien d’une zone autonome kurde dans cette région. Il ne veut pas non plus entendre parler d’une Syrie fédérale qui pourrait reconnaître les Kurdes comme entité constitutive.

Au vu des attentats de Paris, qui sont un prolongement de Suruç et d’Ankara, nous devons nous attendre à de nouvelles attaques de l’EI, qui renforcent la position des Etats autoritaires comme la Turquie dans la région. Cet Etat négocie avec l’UE sur la base du trafic des réfugié·e·s, au prix du sang versé pour le futur de la Syrie. Face à un Etat criminel, la résistance se renforce et s’organise : elle a toutes les chances de faire reculer ce régime sans avenir.

Hiznî Girgimî