Iran et Arabie Saoudite

Iran et Arabie Saoudite : Un conflit entre forces de la contre-révolution

Les tensions politiques entre République Islamique d’Iran (RII) et Arabie Saoudite suite à l’exécution le 2 janvier par celle-ci de l’opposant Cheikh Nimr et de 46 autres condamnés, en majorité des djihadistes, n’ont cessé d’augmenter avec des manifestations en Iran, lors desquelles l’ambassade saoudienne à Téhéran et son consulat à Machhad ont été brûlés, comme dans d’autres pays de la région.

L'Arabie Saoudite a rompu ses relations diplomatiques avec l'Iran, une décision suivie par Bahreïn, le Soudan et Djibouti. Le 7 janvier, la RII accusait l'aviation saoudienne d'avoir bombardé son ambassade au Yémen et a interdit l’importation de produits saoudiens. Les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites, de la Syrie au Yémen en passant par l’Irak et le Liban, sont aggravées par ces évènements. Or, ces deux Etats n’ont cessé d’utiliser l’arme du confessionnalisme pour favoriser leurs intérêts politiques.

 

 

Le confessionalisme : une arme contre les mouvements populaires

Depuis la chute du Shah et l’instauration de la RII en 1979 sous Khomeiny, les relations entre Téhéran et Riyad ont été dans la région des sources de tensions et de montée du confessionnalisme. La RII et sa volonté d’exporter son modèle de « révolution islamique » dans la région, en finançant certains groupes confessionnels chiites, a provoqué une réaction de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe. La RII, ses alliés et les populations chiites de la région en général, sont devenus progressivement l’ennemi principal de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe, remplaçant à ce titre les forces nationalistes et progressistes, affaiblies au début des années 1980, ciblées auparavant par la promotion des mouvements islamiques fondamentalistes.

Dans le royaume saoudien, les discriminations sociales et politiques contre les minorités chiites, qui faisaient déjà l’objet d’un discours salafiste et wahhabiste haineux, ont été renforcées et celles-ci ont été la cible d’une propagande les traitant de « 5e colonne iranienne ». Une situation aggravée par l'utilisation politique des divisions sunnites-chiites pour promouvoir les politiques du royaume saoudien au Bahreïn, en Syrie et au Yémen. Au Yémen, l’intervention militaire saoudienne depuis mars 2015 contre les forces Houtis et de l’ancien dictateur Abdallah Saleh, soutenue par la RII, a provoqué plus de 5800 morts, dont 2800 civils et plus de 27 900 blessés, avec plus 2,5 millions déplacé·e·s… Des religieux saoudiens, le 3 octobre 2015, publiaient un communiqué en réponse à l’intervention militaire russe en Syrie appelant les « vrais croyants » à lutter contre le gouvernement « safavide » de Syrie et ses alliés, décrivant le conflit syrien comme une nouvelle croisade, les « hérétiques chiites » se joignant aux croisés russes.

Mais la RII discrimine aussi, politiquement et socialement, ses populations arabes de confession sunnite et Téhéran a interdit toute construction de mosquée sunnite dans la capitale. Pour rappel, en 2011, les politiciens sunnites et les résident·e·s de Téhéran ont été forcés par les services de sécurités à se joindre aux jours officiels de prière en gage de loyauté au guide suprême iranien l’ayatollah Khamenei.

Par ailleurs, les deux pays ont soutenu des groupes extrémistes chiites et sunnites en Irak menant à une guerre civile de 2006 à 2008, alimentant les tensions confessionnelles dans la région. L’invasion de l’Irak par les USA et la Grande-Bretagne, en 2003, a vu, après la chute du dictateur Saddam Hussein, le pays tomber dans l’orbite pro-iranienne par l’arrivée au pouvoir de groupes fondamentalistes islamiques chiites proches de la RII. Ceux-ci ont été coupables discriminations politiques et socio économiques contre les populations sunnites d’Irak, sans oublier leurs nombreuses exactions et crimes confessionnels.

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Une crise économique ?et sociale croissante

Face aux soulèvements populaires dans la région depuis l’hiver 2010 – 2011, ces mêmes acteurs ont encore fait usage du confessionnalisme pour justifier des interventions dans la région, soutenir des dictatures, ou discréditer des mouvements populaires, les présentant comme des complots soutenus par une puissance étrangère. En Syrie, chaque camp a aussi soutenu des forces confessionnelles et réactionnaires, tout en promouvant un discours confessionnel dans ses médias.

Le confessionnalisme est utilisé par ces deux pays pour détourner les populations locales des problèmes économiques et sociaux toujours croissants. Confrontée à la chute des cours du pétrole, l’Arabie saoudite adoptait en début d’année son budget 2016 avec un déficit de près de 80 milliards et des mesures d’austérité incluant des hausses de plus de 50 % du prix de l’essence, qui vont appauvrir encore les 25 % de la population de nationalité saoudienne vivant déjà sous le seuil de pauvreté. En Iran, l’inflation est d’environ 20 % (chiffres officiels) et la carence de produits de première nécessité tels que les médicaments continue, avec un chômage de l’ordre de 25 % et 40 % de la population sous le seuil de pauvreté.

De même, ces deux pays répriment sévèrement les travailleurs·euses et syndicalistes. En Iran, pouvoir et patronat s’acharnent sur les travailleurs·euses qui constituent des syndicats indépendants en les emprisonnant. Ils licencient systématiquement les porte-parole de grévistes, en procédant à leur arrestation pour «crime de sabotage économique». En Arabie Saoudite, le ministère de l'Intérieur a déclaré avoir expulsé plus de 370 000 migrant·e·s lors des 5 derniers mois de l’année, tandis que 18 000 autres sont toujours en détention. Ces deux Etats et leurs alliés sont des forces réactionnaires et destructrices dans la région auxquelles il faut s’opposer sans relâche.

Joseph Daher