L'automatisation

L'automatisation : Une libération du travail?

Lundi 4 janvier, tous les médias helvétiques se faisaient l’écho d’une recherche affirmant que d’ici une vingtaine d’année, 48 % des emplois actuels en Suisse n’existeraient plus en raison de l’automatisation et de la numérisation. Selon certaines voix, ce processus signerait la fin du salariat ou encore de l’aliénation du travail. L’exemple de l’automatisation des caisses de supermarché apporte toutefois un éclairage différent.

Certains voient dans ce bouleversement annoncé, sans guère de précédent, un affaiblissement possible de la société salariale conduisant à une augmentation du temps de loisirs. D’autres pensent que cela se traduira par une libération des tâches aliénantes du travail. Examinons un cas concret.

 

 

 

La caisse automatique: une modification profonde du métier

En France, depuis 2005 et leur introduction par Casino, les caisses automatisées dans la grande distribution n’ont cessé de se généraliser. Aujourd’hui, de la supérette à l’hyper-centre commercial, la quasi-totalité des lieux de ventes en est équipé. Phénomène encore peu exploré en Suisse, la sociologue Sophie Bernard auteure de Travail et automatisation des services. La fin des caissières ?, s’est penchée en France sur les conséquences de l’introduction de ces dispositifs tant sur la structure de l’emploi que sur la modification du contenu du travail dont voici quelques points essentiels.

 

 

Peu de suppression de postes, mais une redéfinition des tâches

La crainte légitime d’une disparition des postes de travail au profit des machines ne semble pas se réaliser dans ce cas. La légère baisse de 1,7 % de effectifs dans la branche ne permet pas d’accréditer cette thèse, même si certains effets pervers, tel que le non-remplacement des départs, mettront un certain temps à se faire sentir. L’introduction des caisses automatisées a par contre permis d’augmenter le nombre de caisses sans engager de nouvelles personnes.

Mais plus que la modification de la structure de l’emploi, c’est la transformation profonde du métier de caissier·ère, introduite par l’arrivée de cette nouvelle technologie, que la sociologue met en exergue dans son ouvrage.

 

 

Perte d’un rôle social et «gendarmisation» du métier

Loin de provoquer la disparition des caissier·ère·s, les caisses automatiques introduisent une recomposition des opérations de travail et modifient profondément la relation de service. En effet, alors que le travail aux caisses traditionnelles donnait aux travailleur·euse·s un rôle social important, la surveillance des caisses automatisées renforce la relation asymétrique avec le client. Si, auparavant, il devait évaluer l’interaction à avoir avec le client afin de lui être agréable, aujourd’hui il doit le surveiller, le corriger et le former.

En d’autres termes, le caissier·ère·s devient un surveillant des client·e·s qui, quant à eux·elles, nient de plus en plus son utilité sociale puisqu’il ne scanne plus les produits. Il s’en suit d’après Sophie Bernard une augmentation des conflits et de leur violence. Cette déshumanisation du travail provoque une profonde souffrance parmi les employé·e·s.

 

 

Intensification du travail

Parallèlement à la recomposition de la relation de service, on assiste à une modification des opérations de travail elles-mêmes (gestion informatique, gestion de conflit, surveillance, etc). Une recomposition qui demande d’autres compétences et qui s’accompagne d’une intensification du travail. En effet, les caissier·ère·s qui étaient en charge d’une seule caisse, se retrouvent à devoir surveiller 4 à 10 caisses simultanément. Ce passage du travail séquentiel à un travail simultané a des conséquences importantes comme la suppression des temps morts, et l’intensification du rythme et de la charge de travail.

La sociologue nous affirme même qu’expériences faites, cette activité à temps complet est impossible sans péjorer fortement la santé des travailleur·euse·s. La vigilance permanente et la multiplicité des tâches (corriger les fautes des client·e·s, répondre aux sollicitations de client·e·s tout en en surveillant d’autres) exigent tant d’énergie que le temps maximum de travail à ce poste est limité à 4 heures par les employeurs·euses eux·elles-mêmes. Le corollaire positif de cette évolution est de rendre le métier de caissier·ère·s plus polyvalent et plus stimulant. Une réalité qui n’est saluée que par une partie des travailleur·euse·s.

 

 

Autonomisation plutôt qu’automatisation

Les quelques éléments de cette recherche tendent à montrer que les effets de l’automatisation ne peuvent se comprendre en dehors du contexte dans lequel elle est effectuée. Ainsi, si l’automatisation peut ou plutôt pourrait être une source d’émancipation des travailleur·euse·s tant en les allégeant d’une partie aliénante du travail qu’en leur libérant du temps de loisirs, le fait est qu’elle s’insère dans une société capitaliste dont l’objectif est tout autre.

Ainsi, dans un contexte de recherche perpétuelle de profits, l’automatisation ou la numérisation du travail reste un outil d’intensification du travail et de baisse des coûts de la main d’œuvre. Dans le cas présent, l’introduction des caisses automatiques répond à la rationalisation des processus économiques qui permet d’accroître le nombre de caisses sans accroître les effectifs d’employé·e·s, voire pourrait permettre de les diminuer.

Dès lors, la question n’est pas tellement de savoir si l’automatisation permet une libération du travail, mais plutôt de réfléchir à comment reconquérir une autonomie pour se libérer du salariat. Le système capitaliste et sa logique de marché récupérant à ses propres fins les modernisations qui permettraient d’émanciper les travailleur·euse·e, c’est donc bien à une sortie de ce système que notre action doit tendre.

Pablo Cruchon