Les accords commerciaux du type TAFTA

Les accords commerciaux du type TAFTA : Un sabotage ouvert de la lutte contre le réchauffement climatique

La récente plainte de l'entreprise TransCanada contre l'Etat fédéral américain, coupable d'avoir refusé le projet d'oléoduc Keystone XL, vient rappeler qu'en matière d'émissions de gaz à effet de serre, les grandes messes médiatiques comme la COP 21 font figure de vaine gesticulation devant les conséquences concrètes d'accords commerciaux internationaux du type ALENA, TAFTA ou CETA.

La compagnie canadienne s'appuie sur le chapitre 11 de l'article de l'ALENA, ce traité de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Elle demande 15 milliards de dollars de compensation des profits qu'elle escomptait tirer de ce projet d'oléoduc, qui visait à transporter les pétroles bitumineux de l'Alberta au Golfe du Mexique.

C'est un exemple lumineux du fonctionnement des procédures que permet ce genre d'accord, et que l'on retrouve aussi dans le CETA (accord entre le Canada et l'Union européenne) et le projet de TAFTA (entre les Etats-Unis et l'Union européenne).

Cette dérégulation à grande échelle ne s'arrêtera évidemment pas aux frontières de notre pays et les troufions envoyés par le caporal Parmelin pour amuser la galerie n'y pourront rien. Du reste, le président de la Confédération et optimisateur fiscal patenté J. Schneider-­Ammann a déjà déclaré que la Suisse ne devait pas rester à l'écart de TAFTA. Et sur sa page Facebook, economiesuisse en Suisse romande affirme «Négociations TTIP USA-UE: une évolution à suivre de près pour éviter une exclusion de la Suisse de ce qui pourrait être le plus grand espace de libre-échange de la planète, lequel offrirait de nouvelles opportunités de commerce et des créations d'emplois.»

 

 

La voie royale pour les entreprises

Ces textes prévoient un mécanisme d'arbitrage en cas de conflits entre les entreprises et les Etats (Investor-State Dispute Settlement, ISDS). Il s'agit d'un arbitrage privé – et non pas d'une plainte devant un tribunal public – que seules les entreprises peuvent actionner.

Autrement dit, les Etats ne peuvent pas se retourner contre les entreprises. Tout cela au nom de la liberté du commerce international et de la lutte contre les discriminations arbitraires ou injustifiables! Si donc un Etat choisit de ne pas autoriser à un projet déposé par une firme, parce qu'il estime que des raisons de santé publique ou environnementales s'y opposent, l'entreprise peut déposer plainte, pour avoir été privée des profits escomptés.

Des cas existent déjà: le Canada est poursuivi par l'entreprise Lone Pine Resource, à hauteur de 250 millions de dollars, parce que le Québec a décrété un moratoire sur la fracturation hydraulique et l'entreprise canadienne Gabriel Resources menace d'attaquer la Roumanie qui tend une oreille un peu trop attentive à la population de la région de Rosia Montana, opposée à l'exploitation destructrice d'une mine d'or. Dans sa brochure Petit guide pour torpiller le TAFTA, Attac France note que «certains Etats ont ainsi été condamnés à des amendes très dissuasives, se chiffrant souvent en millions voire en milliards de dollars (Nouvelle-Zélande, Uruguay, Argentine…)»

Disposant ainsi de puissants moyens de pression sur les politiques publiques, les entreprises – et elles seules – se voient aussi reconnaître un droit de «co-rédaction» des lois, sous couvert de coopération réglementaire. Voici un exemple fourni par l'Observatoire des entreprises en Europe: «Imaginons que l'Union européenne renforce sa Directive sur les émissions industrielles afin de réduire les émissions de CO2 produites par le secteur du ciment. Les grandes entreprises auraient le droit de proposer à l'instance de coopération réglementaire leurs propres propositions alternatives de réglementation “procommerce”. Les compagnies américaines du secteur pourraient ainsi faire valoir que la mesure initiale est une entrave à l'investissement […] Résultat: l'industrie du ciment – l'une des plus grosses émettrices de gaz à effet de serre – éviterait des régulations plus contraignantes tout en bénéficiant de subventions de la collectivité. Pendant ce temps, le changement climatique s'aggravera. Alors que ces entreprises sont précisément celles qui ont besoin d'être réglementées pour faire face à la crise climatique, elles sont invitées à façonner directement les réglementations, selon leurs propres intérêts.» (TTIP/TAFTA: La boîte magique pour les crimes climatiques).

 

Plus de carburants fossiles

Même si l'Union européenne tente aujourd'hui de gommer les aspects les plus criants de cette hégémonie entrepreneuriale, rien ne dit que les Etats-Unis se rangeront à son avis et accepteront ses contre-propositions. Si l'accord TAFTA – aussi désigné par l'abréviation TTIP par ses promoteurs – est adopté sans changements majeurs, il contribuera fortement à l'aggravation du réchauffement climatique, non seulement à cause des boulevards qu'il ouvre à l'emprise des multinationales, mais aussi parce que le renforcement des flux d'importations et d'exportations accroîtra nécessairement les émissions de CO2, ne serait-ce que par l'augmentation des transports ainsi entraînée.

En outre, l'Union européenne a clairement demandé aux Etats-Unis de lever leurs restrictions sur les exportations d'énergies fossiles. De leur côté, les lobbies nord-américains ont déjà réussi à affaiblir la directive européenne sur la Qualité des carburants (FQD), qui aurait permis de limiter les importations d'hydrocarbures dits non conventionnels. La «décarbonisation» de l'économie capitaliste n'est pas pour demain. Le rejet de TAFTA/TTIP est bien une exigence primaire de la lutte contre le réchauffement climatique.

Daniel Süri