Electricité suisse
Electricité suisse : Le libéralisme contre la transition énergétique
Alors que la Suisse se dirige vers une libéralisation totale du marché de l’électricité depuis l’adoption, en 2007, de la loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl), l’annonce de la société ALPIQ, qui souhaite vendre la moitié de son portefeuille d’installations hydroélectriques jugées non rentables, illustre l’incompatibilité des politiques néolibérales avec les projets de transition énergétique.
En décembre 2000, les chambres fédérales adoptaient une nouvelle loi sur le marché de l’électricité (LME) qui devait amener à une ouverture totale du marché de l’électricité en 6 ans. En septembre 2002, la gauche et les syndicats remportaient le référendum contre cette LME. A l’époque, l’union syndicale suisse argumentait que «dans un marché libéralisé, les producteurs de courant électrique chercheront à produire du courant en aussi grandes quantités que possible, à des coûts aussi bas que possible pour ensuite le vendre à des prix aussi élevés que possible. Dans un tel système, les mesures en faveur d’un approvisionnement plus économique et plus respectueux de l’environnement qu’à présent feront tout autant l’objet de pressions que la sécurité des installations et les conditions de travail».
En mars 2007, les chambres fédérales approuvaient la LApEl, nouvelle version de la LME où l’ouverture du marché de l’électricité se ferait en deux temps. Le premier volet avait lieu en 2009 et donnait la possibilité aux gros consommateurs d’électricité (≥ 100 000 kWh/année) de choisir librement leur fournisseur. Le second volet devait ouvrir cette liberté au reste des consommateurs, soit les ménages et les PME, et aurait dû s’appliquer dès 2013.
Un changement majeur dans la stratégie énergétique helvétique vint cependant troubler cet agenda: le renoncement à l’énergie nucléaire décidé après l’accident de Fukushima. Aux dernières nouvelles, le second volet de la LApEl devrait entrer en vigueur en 2018, mais pourrait être combattu par référendum.
Actuellement, en Europe, le prix de l’électricité est particulièrement bas en raison d’une baisse conjoncturelle de la consommation ainsi que du faible coût de production de l’énergie venant des centrales à charbon trop peu taxée, des énergies éoliennes subventionnées ou encore des centrales nucléaires dont le coût de démantèlement n’est toujours pas inclus dans les frais de fonctionnement. En janvier 2015, le Conseil d’Etat du canton de Vaud écrivait: «alors que l’on parle de marché libre, en réalité il n’y a pas de vérité des coûts, notamment environnementaux. L’on demeure dans un contexte économique de distorsion de concurrence, qui continue à faire la part belle aux énergies d’origine fossile au détriment des énergies renouvelables, notamment hydroélectriques, et dont la rentabilité pâtira fortement de l’ouverture des marchés».
Quelles conséquences?
Confirmant les arguments avancés depuis plus de dix ans par les opposants à la libéralisation, la société ALPIQ annonçait, en début mars, son intention de vendre jusqu’à 49% de son portefeuille d’installations hydroélectriques devenues trop peu rentables. Dans une logique purement spéculative, il est en effet raisonnable de se débarrasser au plus vite d’installations productrices d’une énergie propre et renouvelable dont le coût de production du kWh est d’environ 6,5 centimes, alors que le prix du kWh sur le marché européen est de seulement 2,8 centimes. En revanche, lorsque l’on sait que les prix de l’électricité sont faussés et que la transition énergétique vers une production dépourvue de fossile et de nucléaire est une nécessité pour le futur de l’humanité, la décision d’ALPIQ illustre bien les conséquences catastrophiques qu’amène la libéralisation du marché de l’électricité.
Reste encore la question du rachat des dites installations hydroélectriques. L’Etat est l’acteur le mieux placé pour effectuer cette tâche, car déjà actionnaire important d’ALPIQ par le biais d’EOS Holding composée des entreprises SIG, Groupe E, SIL, FMV et Romande Energie. En effet, même si la Confédération refusait de verser les deniers publics pour racheter les installations et renflouer, au passage, les caisses d’une société privée, ce serait aux actionnaires susmentionnés d’assumer cette besogne. Dans les deux cas, c’est le contribuable qui paie la facture.
Plus grave encore, il est fort possible que cette même logique soit appliquée pour le démantèlement des centrales nucléaires où la société ALPIQ possède des parts importantes. Les coups de production actuels des centrales nucléaires suisses se situent entre 4,5 et 5,5 centimes le kWh et la stratégie de confier le coût de leur démantèlement à la collectivité est bien connue. Un tel scénario est malheureusement très probable alors que ce sont les fortunes colossales qui se sont constituées sur l’exploitation du nucléaire qui devraient maintenant assumer les coûts de la fin de vie des centrales.
Florian Martenot