Libre circulation des personnes

Libre circulation des personnes : Une clause de sauvegarde... des intérêts du patronat suisse

Le projet de mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse» présenté par le Conseil fédéral début mars renforce la précarisation des conditions de travail de tou·te·s les salarié·e·s. Il est fondamental de s’y opposer frontalement et de se battre pour une amélioration des protections des travailleurs·euses immigrés et résidents.

Deux ans après le vote du 9 février  2014, et suite à la décision de l’Union européenne d’attendre le résultat du scrutin du 23 juin sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE avant de poursuivre la discussion avec la Suisse, le Conseil fédéral a dû se contenter de présenter début mars un «Plan B» consistant à mettre en œuvre une «clause de sauvegarde» unilatérale en cas d’échec définitif des négociations avec l’UE.

Concrètement, le projet du Conseil remettrait en place un régime migratoire contingenté pour tous les permis de plus de quatre mois. Les contingents s’appliqueraient dès que le flux migratoire dépasserait un seuil, à fixer par le Conseil fédéral lui-même. Comme «mesures d’accompagnement», le Conseil fédéral propose entre autres l’expulsion pour des travailleurs.euses qui se retrouvent au chômage durant la première année de séjour et l’exclusion de l’aide social des ressortissant·e·s de l’UE séjournant en Suisse durant leur recherche d’emploi. Il propose aussi des mesures inspirées par l’idée de «préférence nationale» pour faciliter l’intégration sur le marché du travail des personnes âgées ou des réfugié·e·s.

 

 

Ne pas céder au chantage de l’extrême droite

Sans surprise, les syndicats (genevois et, plus timidement, nationaux) ont fait savoir qu’ils s’opposent à ce projet, qui se trouve aux antipodes des principes d’une politique migratoire basée sur l’égalité de droits entre salarié·e·s immigrés et résidents. Il renforce la précarisation des conditions de travail en favorisant l’octroi de permis de courte durée et en poussant des salarié·e·s dans la clandestinité après épuisement des contingents. Il entérine la gestion ultra-libérale du marché du travail sous couvert de «préférence nationale» en balayant les revendications syndicales en matière de mesures d’accompagnement et en tentant de faire porter la responsabilité du dumping salarial et du chômage aux salarié·e·s immigrés.

Un tel refus signifie inévitablement assumer que l’article constitutionnel ne sera pas mis en œuvre dans les délais imposés à février 2017. Il n’y a toutefois pas lieu de céder au chantage de l’UDC qui menace déjà avec le lancement d’une nouvelle initiative «de mise en œuvre»: faut-il rappeler que avons attendu plus d’un demi-siècle avant de voir l’article constitutionnel sur l’assurance-maternité se réaliser?

Refuser le chantage xénophobe c’est aussi se donner le temps et les moyens pour comprendre les raisons de l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» en 2014: elle s’explique surtout par la pression sur les salaires subie par une majorité de la population active et les lacunes en matière de contrôle. L’analyse du vote avait en effet mis en lumière, sans surprise, des taux d’acceptation particulièrement élevés auprès des personnes à basse qualification et bas salaires, mais également parmi celles qui ont un degré d’études techniques.

 

 

Continuité avec une gestion ultra-libérale du marché du travail

La mise en œuvre de l’initiative syndicale «pour le renforcement des contrôles des entreprises» par l’instauration à Genève d’une inspection paritaire des entreprise cette année tentait de répondre à ces préoccupations en démontrant qu’il est possible de combattre les abus patronaux en augmentant les droits des salarié·e·s. Ce n’est clairement pas la voie choisie par le Conseil fédéral, qui a largement intégré dans son projet les demandes patronales d’une gestion flexible des contingents, permettant de couvrir les besoins en main d’œuvre pour l’économie d’exportation, la réintroduction d’une forme de statut de saisonnier hors contingents pour les branches de l’économie interne à faible productivité et un moratoire complet sur l’amélioration des mesures d’accompagnement.

Avec le projet du Conseil fédéral, c’est donc aussi une stratégie syndicale, basée sur la substitution de la construction d’un rapport de force sur les lieux de travail par des négociations institutionnelles, qui se voit remise en question. En effet, la non prise en compte totale des revendications syndicales montre que l’orientation syndicale de soutenir une ouverture du marché du travail accompagnée par une meilleure protection des conditions de travail nécessite la construction d’un rapport de force bien plus important de ce que les syndicats suisses ont été capables de faire ces dernières années.

 

 

Protéger les salariés, pas les frontières

La tentation existe dès lors d’engager une nouvelle «union sacrée» avec le patronat en défense des accords bilatéraux avec l’UE, tout en réduisant les aspirations syndicales à revendiquer davantage de protection pour les salarié·e·s et, pire encore, en flirtant avec des mesures de limitation de l’immigration. Or, sans une réelle capacité de mobilisation dans les entreprises il est difficilement envisageable d’obtenir davantage de droits pour les salarié·e·s, qu’ils soient suisses ou immigrés, tant en Suisse que dans une Union européenne marquée par une virulente politique de démantèlement des acquis sociaux.

L’appel de l’Union syndicale suisse à se mobiliser cet automne contre le démantèlement des retraites et, nous l’espérons, pour l’amélioration des protections des salarié·e·s, intervient certes (trop?) tard, mais il faudra se donner les moyens pour être capable de porter cet enjeux dans les rues. La manifestation genevoise du 28 mai devra être un premier test important à cet égard.

Alessandro Pelizzari
Syndicaliste