Les socialistes de Malaisie et la question religieuse

Le Parti socialiste de Malaisie (PSM) est actif parmi les travailleurs des plantations et les populations pauvres des villes. La Malaisie est un Etat multiethnique, où l’islam sunnite est religion officielle, bien que 37 % de sa population ne soit pas musulmane. La manipulation des sentiments religieux par les classes dominantes est donc une question sensible. D’où l’intérêt de la position du PSM sur la question religieuse. Nous avons traduit et reproduisons ici un extrait de la brochure de J. Devaraj, Malaysia at the Crossroads, A Socialist Perspective, 2009.

Le PSM veut construire un mouvement populaire multi-ethnique capable de défendre les droits des 70 % de notre population la plus pauvre. Un tel projet nécessite de répondre à l’antipathie de certains groupes religieux envers la gauche.

Depuis une soixantaine d’années, la propagande occidentale présente systématiquement les militant·e·s de gauche comme des terroristes violents, autoritaires et antidémocratiques. De même, au cours de la guerre froide, elle a encouragé des tendances religieuses conservatrices et semi-fascistes.

 

 

Camarade Jésus?

En septembre 2008, lors du rassemblement pour célébrer la légalisation du PSM, A. J. Kattaiah a affirmé: «Le socialisme n’est pas quelque chose de nouveau. Les valeurs socialistes ont été proclamées il y a des siècles par les camarades Krishna, Bouddha et Jésus». Certains d’entre nous ont souri de cette audace, mais à la réflexion, il est vrai qu’une composante importante des enseignements des principales religions – islam, christianisme, bouddhisme, sikhisme et hindouisme – est fondée sur la solidarité sociale.

Ces religions enseignent à leurs membres à être bons envers les autres, à prendre soin des malades, des personnes âgées, des pauvres, à vivre simplement, à se soucier des autres et à vivre en harmonie avec la nature. Ces valeurs découlent d’un sens de la solidarité sociale et sont en accord avec les valeurs socialistes. Il y a bien sûr aussi des valeurs rétrogrades dans les religions, qui dénigrent la position des femmes, qui nourrissent l’hostilité envers celles·ceux qui ne partagent pas la même foi, ainsi que des croyances et des pratiques racistes, le système des castes, etc.

Je dirais, et pas seulement par souci pédagogique, que les valeurs essentielles des religions sont socialistes, et que leurs croyances régressives sont dues à leur «domestication» par les sociétés de classe au sein desquelles elles se sont développées.

 

 

Religions et socialisme

Les croyant·e·s disent que le sentiment religieux vient de Dieu. Et il y a des socialistes qui sont d’accord avec eux. Mais il y en a d’autres qui adoptent la position du matérialisme historique, telle que formulée par Marx:

«La souffrance religieuse est à la fois l’expression de la souffrance réelle et la protestation contre cette souffrance réelle. La religion est la protestation de la créature opprimée, le cœur d’un monde sans cœur, de même que l’esprit de conditions d’où l’esprit est absent. C’est l’opium du peuple» (Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843).

En d’autres termes, le sentiment religieux renvoie à l’aspiration de l’humanité à des relations sociales fondées sur la justice et la solidarité face aux rigueurs et privations qui découlent de l’oppression de classe. Il émane des conditions matérielles et sociales de l’existence humaine. Il vient de nous, et non d’une source extérieure divine.

Mais d’où vient le sentiment socialiste? Nous sacrifions notre temps, notre argent, notre avancement matériel, notre vie de famille et notre sécurité. D’où tirons-nous cette motivation? Pas de nos intérêts personnels.

Un prêtre catholique nous a dit un jour: «Nous avons un terme pour les gens comme vous; vous êtes des chrétiens anonymes». Il a poursuivi en expliquant que celles et ceux qui ont été touchés par Dieu pour servir leurs prochains de façon altruiste, mais qui ne réalisent ni ne reconnaissent la source de leur inspiration sont faits de cette étoffe. Je me sentirais honoré d’être considéré comme tel.

La vision catholique est idéaliste – elle postule une autorité morale extérieure qui diffuse des valeurs en chacun·e de nous, qu’il·elle soit croyant ou socialiste incroyant. Le matérialisme historique part d’une position opposée – nos valeurs et croyances découlent de nos conditions matérielles et sociales, et non d’une source extérieure. Mais quelle importance à cette divergence? Il n’en reste pas moins vrai que les valeurs socialistes et celles qui sont au cœur des religions fondées sur la solidarité sociale sont très proches.

L’attitude du Parti socialiste de Malaisie

On ne renonce pas à sa religion pour devenir membre du PSM. La religion y est vue comme une affaire personnelle, et chaque membre du parti a le droit d’observer les croyances qu’il·elle veut.

La propagande de droite nous dénonce comme des athées ou des antireligieux. Or, certains d’entre nous appartiennent à telle ou telle religion. D’autres se considèrent comme agnostiques – ils estiment qu’il n’est ni possible ni nécessaire de donner une réponse définitive aux questions concernant l’existence ou la nature de Dieu.

Nous ne sommes pas antireligieux, contrairement au capitalisme qui est fondé sur l’individualisme, l’égoïsme, la compétition sans frein et l’accaparement personnel. «Soyez aussi égoïstes et intéressés que possible, et ‹ la main invisible › va s’arranger pour que la société dans son ensemble bénéficie de votre comportement égoïste», tel est l’ethos du libre marché. Les principes socialistes de solidarité et de don de soi sont beaucoup plus proches des valeurs clés de toutes les religions.

Pourquoi abandonner le terrain élevé de la morale et laisser les propagandistes de droite nous disqualifier? Il faut au contraire le revendiquer et rivaliser avec les croyant·e·s en travaillant à leurs côtés pour mettre en œuvre les enseignements essentiels auxquels ils·elles adhèrent et qui sont fondés sur la solidarité sociale et l’entraide humaine.