Répression

Répression : La criminalisation des migrants pauvres à l'origine du surpeuplement carcéral

Faute d’émeutes ou de démission de cadres, la surpopulation carcérale ne fait plus la une des journaux. Et pourtant, elle subsiste. Dans la prison genevoise de Champ-Dollon, 830 personnes s’entassent dans un espace prévu pour 370, soit un taux d’occupation d’environs 220 %. Une donnée qui est d’autant plus invraisemblable alors que l’on sait que le taux d’occupation moyen des autres prisons suisses est d’environ 90 %, soit 6100 personnes détenues pour environs 6680 places de détention.

Pour répondre à cette situation, le Conseiller d’Etat Pierre Maudet, suivi par la majorité du parlement, à proposé l’extension des prisons existantes et la construction d’un nouvel établissement de 450 places. Une mesure qu’il prétend nécessaire pour assurer les droits des détenu·e·s qui, comme l’a relevé le Tribunal fédéral à plusieurs reprises, sont déjà affectés par la détention elle-même et sont gravement violés du fait du surpeuplement. Un argument qui en 2013 avait su faire brèche même dans les rangs de la gauche, mais qui doit être réfuté. S’il faut combattre le surpeuplement carcéral, la solution ne peut passer par la construction de nouvelles prisons.

 

 

Qui sont les victimes de la politique pénale?

Alors que, d’une manière générale, les infractions pénales sont en baisse depuis plusieurs années, le nombre de personnes détenues à Genève a augmenté de 59 % entre 2011 et 2014. La surpopulation n’est pas une fatalité ou la conséquence d’une activité criminelle hors norme mais la conséquence de choix politiques.

Des choix politiques comme ceux de faire de la migration des moins fortuné·e·s un crime et d’emprisonner toujours plus et toujours plus longuement les personnes se trouvant à Genève sans statut légal. C’est ainsi que les condamnations pour infraction à la Loi sur les étrangers (LEtr), soit notamment la simple «entrée ou séjour illégal», sont passées en quelques années de 2200 (2008) à 8300 (2014), soit une augmentation de 370 %.

Une criminalisation accrue des migrant·e·s qui explique en bonne partie la hausse du taux d’incarcération. En effet, alors qu’en 2012 les personnes détenues pour infraction à la LEtr étaient moins de la moitié de celles détenues pour infractions contre le patrimoine, en particulier pour vol, aujourd’hui elles sont largement majoritaires. Une augmentation qui se reflète également sur le nombre de personnes détenues de nationalité étrangère, qui sont aujourd’hui plus de 90 %, en grande majorité en provenance d’Afrique et des Balkans.

A cela s’ajoute également la sévérité croissante des tribunaux genevois au moment d’ordonner la détention d’une personne, tant s’agissant d’une détention préventive avant jugement que de l’exécution d’une courte peine. Si la durée moyenne d’une détention à Champ-Dollon était de 26 jours en 1980, elle est passée à 100 jours en 2014 et les peines de prison de moins de six mois, que la loi n’autorise qu’à titre exceptionnel et dont tous les experts considèrent qu’elles n’ont aucun effet sur le risque de récidive, sont à l’origine de 35 % des détentions à Champ-Dollon.

Des politiques qui ne s’appliquent d’ailleurs qu’aux plus démuni·e·s. Premièrement car l’énorme majorité des migrant·e·s se trouvent dans l’indigence et la minorité de fortuné·e·s peuvent bénéficier de permis de séjour en dérogation des normes usuelles, ce qui les met à l’abris des infractions à la LEtr. Deuxièmement car, comme le confirme la nouvelle révision du Code pénal, les infractions les plus fréquentes sont sanctionnées par des jours-amendes et la prison ne peut être prononcée que pour celles et ceux qui ne sont manifestement pas en mesure de payer, donc les pauvres. C’est donc la criminalisation, toujours plus intense et toujours plus sévère, des migrant·e·s pauvres qui explique pourquoi les prisons genevoises débordent.

 

 

Quelles réponses y apporter?

Derrière les discours du Conseil d’Etat, qui prétend se soucier des droits des personnes détenues, se cache donc une politique raciste et classiste, qu’il nous appartient de dévoiler, dénoncer et combattre. Pour ce faire, voici deux propositions.

Avant tout, il faut assumer que les projets d’agrandissement ou de construction de nouveaux établissements de détention ne répondent pas à un prétendu besoin de sécurité de la population, ni à la défense des droits des personnes détenues. Il s’agit plutôt de poursuivre le développement de l’Etat pénal, qui considère l’enferment comme une solution pour gérer la misère et la migration générées par le système économique. Ces mêmes politiques qui licencient des enseignant·e·s mais ne se gênent pas à engager des matons et des policiers par dizaines. Il s’agit donc de construire un mouvement populaire pour s’opposer au développement carcéral.

Les prisons étant en grande majorité remplies de migrant·e·s pauvres, il ne s’agit pas seulement de ne pas en construire des autres mais bien de vider et, si possible, fermer celles qui existent déjà. Pour ce faire, il est nécessaire d’une part de développer des mécanismes de soutien juridique aux migrant·e·s victimes de la répression, très souvent condamné·e·s à des peines qui auraient pu être réduites voire évitées avec l’assistance d’un·e avocat·e. Pour les personnes déjà condamnées, une solution existe également. L’art. 2 let. d de la Loi portant règlement du Grand-Conseil permet au parlement genevois de prononcer des «amnisties générales». Si une majorité parlementaire semble difficile à construire, une campagne pour l’amnistie pour les infractions de la LEtr est possible et permettrait de lancer le débat sur des solutions alternatives au surpeuplement carcéral.

Ce n’est pas en bâtissant des nouveaux murs que l’on affronte le surpeuplement carcéral et que l’on protège les droits des personnes détenues, mais bien en s’opposant à la criminalisation des migrant·e·s pauvres et en luttant pour une amnistie qui leur ouvrira les portes de sortie de la prison.

Olivier Peter