Retour sur Jean Calvin

Dans ta pièce-monologue, tu mets en scène Jean Calvin, pourquoi avoir choisi ce personnage? Quel est son intérêt aujourd’hui? Quels débats actuels sont-ils éclairés par l’histoire dudit réformateur?

Dominique Ziegler Il est très intéressant d’investiguer l’œuvre et la vie de Calvin. D’abord en tant que Genevois, je suis fasciné par le fait que cette ville ait été l’une des premières théocraties du monde, un passé que les autorités semblent vouloir un peu occulter!

L’influence de Calvin s’est étendue jusqu’aux Etats-Unis (les pionniers puritains, massacreurs d’Indiens, étaient des réformés calvinistes). Avec sa vision très négative d’une humanité qui ne pouvait racheter ses péchés, mais devait rendre grâce à Dieu en travaillant à chaque instant, Calvin a donné un essor à l’activité commerciale, qui, liée au culte du secret et de la discrétion imposée dans la vie sociale, a posé les bases d’une forme de capitalisme à la fois dynamique et silencieux auquel les banquiers privés et les avocats d’affaire de la place sont aujourd’hui redevables.

A l’heure des Panama papers, il est intéressant de constater que les justifications éthiques des intéressés puisent, consciemment ou non, leurs racines dans cette histoire! Mais le temps me manque pour dire tout ce qu’on peut encore tirer comme enseignements de cette période!

 

 

L’histoire genevoise est trop souvent ignorée occultée, niée ou mythifiée… à Genève. Quelles ont été les sources historiques qui t’ont servi à produire cette pièce?

Il existe énormément d’ouvrages sur le sujet. Le roman de Nicolas Buri Pierre de Scandale, le livre du pasteur Babel Calvin, le pour et le contre, un livre surprenant, très critique, d’un pasteur de la cathédrale Saint-Pierre Jean Schorer Calvin et sa dictature, Zweig Conscience contre violence, Max Weber L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, les bulletins d’études de l’Eglise protestante, etc.

 

En t’y référant qu’as-tu découvert qui tranche avec les lieux communs et les clichés sur Calvin?

Le cliché d’un homme respectueux de la séparation des affaires spirituelles et politiques est vite battu en brèche, car Calvin n’aura eu de cesse de soumettre le pouvoir politique au sien. Le cliché d’un Calvin au service de la classe dominante – établi par Engels – mérite aussi d’être relativisé, puisque les règles devaient être suivies par tou·te·s, et qu’il n’a pas hésité à faire décapiter de puissants notables. Le Calvin qui accueille des milliers de réfugié·e·s dans les murs de la ville tranche aussi avec le cliché unique du dictateur sanguinaire et pourrait être médité par nos autorités!

 

 

Le pire et le meilleur, l’ombre et la lumière… chez Calvin. Comment les vois-tu?

L’ombre l’emporte largement. Sa vision d’une humanité maudite dès les origines est terrifiante et un peu démentielle. Paradoxalement, elle a permis de mettre à bas l’imposture catholique qui prétendait que, moyennant dons au clergé, on pouvait acquérir une place au paradis. Dans la mesure où l’espoir de rédemption était inexistant, la vie sur Terre relevait du miracle et de la bonté de Dieu. Les hommes se trouvaient donc sur un pied d’égalité face à la mort, ce qui constitue en soi une avancée.

Sa volonté de faire de Genève la cité de Dieu, d’un Dieu dont lui-même pensait détenir la vraie définition, lui a fait commettre des abus terribles, parmi lesquels les visites de milices dans les foyers, les décapitations de récalcitrants, la condamnation à mort des couples adultères, les tortures et mutilation pour les accusé·e·s de sorcellerie. Mais la situation géopolitique de Genève était très compliquée. Pour aller vite, c’était une cité menacée de toutes parts. Calvin a fait, de son vivant, de Genève un symbole internationalement fort, un pôle intellectuel, théologique et politique de premier plan ; il l’a solidifié, tant sur le plan de la réputation que des institutions. Il est celui qui a sauvé l’indépendance de Genève.

Cela aurait-il pu se produire avec des méthodes plus douces, une idéologie plus paisible? Difficile de réécrire l’histoire. Dans tous les cas, que ça nous plaise ou non, nous sommes les enfants d’une dictature théocratique très particulière. Et c’est la particularité de l’homme qui en est à l’origine que j’ai tenté d’investiguer dans ma pièce.

 

 

Pourquoi avoir choisi la forme théâtrale du monologue pour mettre en scène Jean Calvin? Comment se déroule ta pièce?

J’ai voulu me mettre dans la tête de Jean Calvin, essayer de comprendre son point de vue sur les sujets mentionnés plus haut. Calvin lui-même a beaucoup écrit, il est d’ailleurs un des premiers grands stylistes du français moderne. Il s’est expliqué sur sa vision de Dieu, des hommes, des Genevois·e·s ; ses actions sont répertoriées, notifiées ; je voulais donc synthétiser avec mes mots les grandes lignes de son action, de sa vie et de sa pensée, mais aussi faire en sorte qu’il les expose à ses descendant·e·s à Genève. Raison pour laquelle j’ai choisi une forme intimiste, qui plus est dans une chapelle!

Il y a une volonté cérémonielle de ma part, inspirée des rites animistes auxquels j’ai eu la chance d’assister par hasard en Afrique. Au Togo, je me suis retrouvé dans un village, hébergé par un jeune paysan qui m’a amené le soir à une cérémonie vaudou dans laquelle les femmes rentraient en trance et convoquaient l’esprit des ancêtres. Un vieux paysan me traduisait des bribes de ce qui se passait ; certains de ces fantômes venaient de la nuit des temps. J’essaie de faire la même chose: convoquer les ancêtres ; mais comme c’est Calvin, il n’y aura pas de djembé! Ce sera plus austère. Mais l’idée reste la même.

Propos recueillis par notre rédaction

 

Calvin, un monologue
avec Olivier Lafrance 25 avril — 8 mai
Chapelle Saint-Léger
20 rue Saint-Léger, Genève
Infos: dominiqueziegler.com
Res.: calvinmonologue@gmail.com