Les bananes sont bleues et la discrimination salariale est un mythe

En novembre 2015, soit une année après que le Conseil fédéral ait annoncé sa volonté de légiférer pour contrôler la discrimination salariale, le Centre Patronal publiait dans le cadre de sa revue Etudes & Enquêtes un pamphlet visant à remettre en cause les analyses statistiques qui permettent aujourd’hui d’établir la réalité de cette discrimination. Un exercice de style élaboré sur la base d’un sophisme simple  : la discrimination est l’acte volontaire de salauds, les patrons ne sont pas des salauds, donc les patrons ne font pas de discrimination.

Au pays du Centre Patronal, on vit dans la perception d’une Suisse peuplée de syndicalistes et féministes qui n’ont de cesse de se méfier de celui qui leur offre le pain quotidien. Pour montrer l’inanité d’introduire des contrôles en matière d’égalité salariale, le Centre Patronal ouvre ainsi son étude avec un objectif: mettre en pièce une certitude qui régnerait dans l’inconscient collectif et selon laquelle les employeurs ne respecteraient pas leurs obligations en terme d’égalité salariale.

 

 

Minimiser…

Dans l’abrégé du bon négationniste, la première étape est toujours de commencer à minimiser les chiffres. Et on n’y coupera pas. Revenant sur les statistiques officielles selon lesquelles l’écart salarial entre hommes et femmes s’élèverait encore à 20 %, les auteurs indiquent d’emblée que ce chiffre est à relativiser, puisqu’il doit se découper en une part majoritaire (60 %) dite expliquée par des facteurs objectifs (différence de formation, d’exigence du poste, etc.) et une part restant inexpliquée de l’ordre de 40 %. Actionnant la calculatrice, le Centre en déduit ensuite que l’écart salarial discriminatoire se réduit déjà à 8,7 % et qu’on peut encore le faire tomber si l’on considère le seuil de tolérance de 5 % (une marge statistique en réalité) appliqué par les méthodologies officielles.

La magie opère et le Centre Patronal en exulte que cette opération faite, la discrimination salariale n’est plus que de 3,7 %! Un chiffre insignifiant, qui montrerait déjà à lui seul à quel point il est «disproportionné, voire chicanier, d’exiger un renforcement des mesures contraignantes».

 

 

Mettre en doute…

L’idéologie de la discrimination salariale étant fortement implantée dans l’esprit d’un peuple aussi féministe que les helvètes, il semble que le Centre Patronal ait jugé que cela ne suffisait pas. Après avoir démontré avec fort brio que les chiffres présentés depuis des années étaient surévalués, celui-ci s’attelle donc à démanteler la méthode statistique choisie par la Confédération, utilisée pour l’attribution des marchés publics, et mise à disposition pour le projet, désormais enterré faute d’avoir été utilisé, du Dialogue sur l’égalité des salaires.

Une analyse de régression qui vise à déterminer, toute chose égale par ailleurs, le poids de la variable du sexe dans la détermination des salaires, et comprend donc une série de critères les plus objectivables possibles, allant du niveau de formation à l’expérience professionnelle, en passant par le degré d’exigence du poste et son niveau de responsabilité. Seulement voilà, les statisticiens de la Confédération ne sont pas des employeurs indiquent les auteurs, et c’est pour cette raison qu’ils ignorent tout des critères présidant à la détermination des salaires par un patron.

Comme rien ne sert d’avoir un Master pour servir le café selon le Centre et qu’un CFC dans la branche sera toujours plus apprécié, les critères retenus par la Confédération pour pondérer les différentes variables ne sont pas pertinents et les résultats qui en sont tirés ne sauraient être que biaisés. On pourrait évidemment rétorquer aux auteurs que rien ne permet d’imaginer que les femmes sont statistiquement surreprésentées dans les personnes surqualifiées pour le poste occupé, mais à quoi bon puisque les patrons ne sont pas des salauds, enfin presque.

 

 

Les patrons ne sont (quasiment) pas des salauds…

La troisième étape passe à l’artillerie lourde, soit à la présentation des résultats d’un sondage passé auprès de 600 employeurs·euses romands commandé par le Centre Patronal. Un échantillon non représentatif comme le souligne les auteurs mais qu’importe vu les résultats réjouissants qu’il permet de montrer: «les considérations liées au sexe de l’employeur n’entrent (quasiment) pas en ligne de compte dans la fixation du salaire». Ainsi, si les éléments déterminants selon le sondage sont notamment la qualité de la prestation de travail, le comportement de l’employé·e, variable purement objective cela va de soi, le sexe en tant que tel n’a lui obtenu une note égale ou supérieur à 6 sur 10 que pour 7 % des entreprises répondantes, tandis que 13 % ont indiqué prendre en compte la situation familiale et 29 % le fait d’occuper un emploi à plein temps ou non. Une broutille on vous dit…

 

 

La discrimination, un phénomène forcément intentionnel

Le Centre Patronal concédera finalement tout de même qu’il paraît «peu probable que, à métier identique, les femmes soient globalement moins compétentes que les hommes» avant d’embrancher rapidement sur le fait qu’il est normal que le taux d’activité en tant que tel fasse partie des critères de fixation des salaires, un taux d’activité réduit portant généralement à une performance réduite, légitimant ainsi de fait la discrimination salariale indirecte.

De la discrimination? Que nenni! Après avoir minimisé les chiffres de la discrimination salariale, rejeté la méthodologie utilisée pour la déceler, le Centre Patronal s’offre un bouquet final revenant à dire que la «vraie» discrimination suppose que l’employeur qui la commet ait la conscience et la volonté de la pratiquer, tout le reste confinant apparemment au délire de quelques idéologues du Bureau de l’Egalité. La discrimination est l’acte volontaire de salauds, les patrons ne sont pas des salauds, donc les patrons ne font pas de discrimination, CQFD.

Audrey Schmid