Point sur la situation à Lesbos

Point sur la situation à Lesbos: Un musicien folk en aide aux réfugiés

Scott Hamilton est musicien et vit entre le Canada et la Belgique depuis huit ans. Fin mars, il se rendait sur l’île de Lesbos pour prêter main forte aux personnes arrêtées aux portes de l’Europe. Voilà maintenant six semaines qu’il est arrivé sur l’île en rejoignant un groupe de volontaires. Il nous fait part de son expérience sur place et expose son projet de trouver un arrangement avec un hôtel afin de loger un groupe de demandeurs·euses d’asile.

Depuis ton arrivée sur place, comment a évolué la situation?

Scott Hamilton Depuis quelques jours, le flux d’arrivées sur les côtes de Grèce au départ de la Turquie s’est plus ou moins arrêté: les gardes-côtes, l’OTAN et Frontex interceptent à présent les embarcations, les empêchent d’atteindre les plages grecques ou les emmènent immédiatement dans les camps. Ainsi, le gros du travail se passe à l’intérieur des terres. Les conditions au camp de Moria se sont vraiment dégradées durant les dernières semaines, et aujourd’hui le minimum de dignité n’est pas respecté.

Voilà une semaine que la Grèce a voté une loi permettant aux personnes détenues depuis plus de vingt-cinq jours au camp de Moria et de Kara Tepe de circuler librement sur l’île, après l’obtention de trois documents. A présent, il y a quand même beaucoup plus de passage à la porte principale, et c’est un plaisir de voir les gens entrer et sortir librement. Beaucoup d’entre eux·elles se rendent au village le plus proche (situé à quatre heures de marche aller/retour) pour acheter avec le peu d’argent qu’ils·elles possèdent de la nourriture au lieu de faire la longue file d’attente pour tenter d’accéder à la cantine. On assiste tous les jours à des scènes de violence dans la file, et parfois l’attente en plein soleil se fait en vain: les portes de la cantine se ferment avant que les derniers·ères n’aient pu y arriver. 

 

 

Les procédures administratives sont-elles transmises clairement aux migrant·e·s?

Les demandeurs·euses d’asile sont détenus sans avoir reçu de décision de détention. Les procédures ont déjà changé tellement de fois, tout comme les documents à obtenir. Même les policiers ne reconnaissent plus les papiers qu’ils donnent: j’ai vu des gens présenter un document qui leur a été refusé par la police alors que c’était elle-même qui le leur avait donné!

Il y a sur place peu d’interprètes pouvant traduire toutes les procédures dans les langues parlées (qui sont surtout de l’urdu, du farsi, de l’arabe ou du kurde, tandis que les volontaires parlent principalement anglais)… Cela fait partie d’un manque de qualifications en général mais c’est peut-être aussi ce qui permet d’éviter le renvoi effectif des demandeurs·euses d’asile en Turquie. Car il faut dire que les hotspots renvoient plus de gens en Turquie qu’ils ne traitent de demandes d’asile, parfois même par ruse.

Ainsi, un groupe de demandeurs·euses d’asile s’était enfui du camp lors d’une émeute à Moria. A l’extérieur, ils·elles ont été avertis une heure à l’avance qu’un bus de police arrivait pour les ramener au camp, mais ils·elles se sont méfiés, personne n’est alors monté et le groupe a fui à nouveau. 

La veille, j’ai vu un autre groupe qui demandait une protection particulière car il avait reçu de sérieuses menaces de la part d’une autre communauté. Douze heures plus tard, la police leur envoyait pendant la nuit un bus devant leurs tentes: elle leur proposait de monter immédiatement dans le bus pour être transférés sur une autre île. Comme cela était la seule solution présentée à leur problème, ils·elles se sont méfiés à juste titre.

 

Manifestation contre la déportation de migrant·e·s vers la Turquie, Mytilene, Lesbos, mars 2016 – Phil Mike Jones

Quelle est ta contribution sur place?

J’ai commencé par me rendre tous les jours aux grilles pour discuter avec les personnes détenues à l’intérieur des camps (car je n’avais pas les autorisations nécessaires pour y entrer). J’ai rencontré un groupe: je leur ai dit que j’étais musicien et, à leur demande, je suis revenu le lendemain avec ma guitare. A partir de là, nous avons créé des liens qui nous permettaient d’oublier un moment les problèmes qu’ils·elles avaient traversés, de dépasser l’oppression quotidienne dont ils·elles souffrent dans les camps, et de transgresser la frontière qui nous séparait (dans ce cas une grille et des barbelés mais à travers lesquels la musique passe sans entraves).

Puisque les conditions des camps ne respectent plus la dignité humaine, les autorités autorisent depuis peu les demandeurs·euses d’asile à loger sur l’île, en dehors des camps. J’ai alors eu l’idée, en voyant les hôtels pour la plupart vides, de trouver un accord avec un propriétaire pour loger entre 50 et 60 personnes avec un peu plus de confort, pour qu’ils·elles puissent cuisiner, prendre des cours de grec et d’anglais. Et aussi les mettre en contact avec des conseillers·ères juridiques et réaliser des projets collectifs. Nous discutons actuellement avec plusieurs propriétaires d’hôtel et lançons des demandes de fonds afin de mener ce projet à bien, et de permettre au groupe que j’ai rencontré d’avoir enfin prise sur leur avenir.

Propos recueillis pour solidaritéS par
Fanny Badaf

Retrouvez le blog de Scott Hamilton et ses récits depuis Lesbos:

 

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