Irlande

Irlande : Une percée pour la gauche anticapitaliste

Il y a peu de temps, les médias irlandais répandaient la rumeur que les manifestants en Grèce portaient des banderoles «Nous ne sommes pas des Irlandais». Ils expliquaient que «contrairement aux Grecs qui sont fous et qui n’ont pas autre chose à faire que des grèves, les Irlandais sont des Européens exemplaires». Mais aujourd’hui, les Irlandais·e·s se trouvent eux aussi accusés d’être insolents, puisqu’ils et elles ne payent plus leur facture d’eau. En plus, après les récentes élections, la classe dominante doit faire face à des gens «très insolents» au sein du parlement, au nord comme au sud. Brid Smith, anticapitaliste et récemment élue au parlement dans la région de Dublin, a participé au festival «Marxismos» à Athènes. Voici son introduction à l’assemblée finale «Nous pouvons changer le monde».

Nous avons maintenant six socialistes révolutionnaires élus au parlement de la République d’Irlande et deux au parlement local de l’Irlande du Nord. Notre mouvement People Before Profits (PBP) a décidé cette année de participer aux élections au Sud en collaboration avec l’Alliance contre l’austérité (AAA). Depuis 2014, lorsque nous avons décidé d’intervenir dans le mouvement contre la privatisation de l’eau, notre influence a crû significativement. Le PBP et l’AAA étaient les deux principaux piliers du mouvement et nous avons décidé de nous coordonner. En réalité, c’est le mouvement lui-même qui nous mit devant nos responsabilités et nous obligea à abandonner notre sectarisme.


«Pas un centime – Ne payez pas pour l’eau»

Austérité et privatisations

Le pays connaissait, avant la bataille contre la privatisation de l’eau déjà, un programme d’austérité rigoureux qui entraînait des coupes importantes aux aides fournies aux groupes vulnérables et aux couches les plus pauvres. Mais l’attaque de la privatisation de l’eau fut la goutte qui fit déborder le vase. Il s’agissait en fait de la mise en œuvre d’une directive de l’UE qui ordonnait la création d’une entreprise ayant comme but de gérer le réseau. Notre intervention à ce moment-là, fut cruciale. People Before Profits appela et rassembla toutes les organisations du mouvement, des groupes politiques, des groupes environnementaux et des syndicats, qui menaient la campagne contre la privatisation. Ensuite, ce mouvement a pu s’élargir afin de contester l’austérité d’une manière globale et il s’étendit dans toute la société, y compris au Nord.

Nous estimons qu’au moins 20 % de la population a pris part à des manifestations, mais le plus important est que 50 % au moins de la population a refusé de payer les factures d’eau. Ainsi nous avons pratiquement annulé la privatisation. Ce mouvement nous donna la possibilité de faire un pas de plus et d’exprimer d’une manière plus générale notre rejet du terrorisme économique de la Troïka et des partis gouvernementaux.

Mais ce mouvement était aussi l’enfant de grandes mobilisations précédentes. D’un côté, il y avait eu l’énorme mouvement pour le mariage gay. Il n’était peut-être ni révolutionnaire ni anticapitaliste, mais il était certainement radical et militant. De l’autre côté, le mouvement pour le droit à l’avortement avait également mobilisé des dizaines de milliers de personnes. Chaque fois que nous sommes intervenus dans ces mouvements, afin de montrer qu’il y avait un fil conducteur entre toutes ces luttes, nous avons gagné du monde dans nos rangs en vue des prochaines étapes.

Cela dit, nous avons travaillé dur pour convaincre que nous pourrions être la voix du mouvement et afin d’empêcher les gens de se tourner vers la droite, risque très présent lorsque les attaques viennent de la social-­démocratie. Pour la première fois en Irlande les deux grands partis ont moins de 50 % des voix et le reste est partagé entre nous, le Sinn Féin [gauche nationaliste et républicaine, réd], d’autres partis qui sont contre l’austérité et des indépendant·e·s. L’élection des révolutionnaires, et surtout la prééminence de Jerry Carroll dans l’ouest de Belfast, un bastion du républicanisme, montre que les liens entre la classe ouvrière et le statu quo se brisent.

Au parlement et dans les rues

Bien sûr, nous avons un programme minimum à mettre en avant au sein du parlement. Un certain nombre de nos objectifs ont été déjà atteints. La privatisation de l’eau sera presque certainement annulée. Notre refus de négocier avec toute force prônant l’austérité a empêché la formation d’un gouvernement. Nous avons réussi à mettre en évidence les limites de la démocratie, avec nos questions sur la transparence de la gestion de l’eau, qui restent constamment sans réponse. Enfin, nos représentant·e·s au parlement sont la voix des luttes des travailleurs.

Mais nous savons bien que cela ne suffit pas. Le système, un capitalisme en crise, ne permettra jamais au parlement de voter l’effacement de la dette. L’expérience de SYRIZA ne nous laisse pas de marge d’espoir. Les programmes dits «minimum» sont justes, d’ailleurs tous les partis de gauche en ont un, mais si en même temps ces forces ne luttent pas pour le renversement du système, elles aboutissent rapidement à des mauvais compromis, voire au soutien au programme des capitalistes.

Ces mouvements et notre élection sont un hommage à l’action de James Connolly, le grand marxiste révolutionnaire irlandais qui a été assassiné par l’impérialisme britannique il y a 100 ans. Aujourd’hui, nous devons construire un parti révolutionnaire qui peut unir les travailleurs, catholiques et protestants, dans une lutte commune contre l’austérité. Pour le dire avec les mots de Connolly: «Le sol d’Irlande nous appartient.»

Traduction de la rédaction