Flora Tristan, féministe et socialiste
Flora Tristan, féministe et socialiste*
Il y a deux cent ans, naissait à Paris lune des femmes les plus marquantes de lhistoire du socialisme et du féminisme. Pourquoi lhistoire officielle a-t-elle toujours oublié cette femme extraordinaire qui va parvenir à développer une pensée audacieuse au travers de son action militante. Avant Marx et Engels, elle affirmait déjà que la classe ouvrière devait sunir internationalement pour la défense de ses intérêts: sans le savoir, elle anticipait la création de lAssociation Internationale des Travailleurs1.
La vie tragique de Flora Tristan est à la source de ses idées. Fille dun père fortuné, dont elle devient orpheline en bas âge, elle est plongée dans la pauvreté, ses parents nétant pas mariés. Adolescente, elle épouse le propriétaire de latelier de lithographie qui lemployait, dont elle aura trois enfants. Victime des abus de cet homme violent, elle décide dabandonner le domicile conjugal, le droit au divorce nexistant pas alors2. Ce parcours personnel est à lorigine des brochures et des livres quelle consacre à la vie des femmes pauvres, où elle plaide en faveur du droit au divorce et de laccès des femmes à léducation. Elle dénonce aussi la non scolarisation des femmes prolétaires, fonctionnelle pour le système social bourgeois: formées aux seules tâches domestiques, elles naspireraient pas à dautres destins que celui de servantes, dépouses et de mères.
Vers le socialisme
Flora déploie une telle activité, que les revues de lépoque publient certains de ses articles en faveur des droits des femmes et des ouvriers, contre lobscurantisme religieux et lesclavage, y compris pour labolition de la peine de mort.
Elle est convaincue que les femmes ne seront pas en mesure de secouer toutes seules le joug qui les opprime. Pour aboutir, elles devront unir leurs forces à celles des ouvriers. «Lhomme le plus opprimé peut opprimer un autre être. La femme est la prolétaire du prolétaire».
Dans «LUnion ouvrière»3, elle défend léradication des injustices et de la souffrance du monde, afin dinstaurer la félicité humaine, tâche que seule lorganisation universelle des travailleurs pourra mener à bien. «Ouvriers, durant deux cent ans ou davantage, les bourgeois ont lutté vaillamment et énergiquement contre les privilèges de la noblesse et pour le triomphe de leurs droits. Mais, le jour de la victoire venu, même sils ont reconnu légalité des droits pour tous, de fait, ils ont accaparé pour eux seuls tous les bénéfices et les avantages de cette conquête».
Par la révolution
La révolution dont parle Flora Tristan est pacifique et morale, inspirée par lamour de lhumanité et basée sur léducation, la générosité et la solidarité avec les humbles. Loin dune vision nationaliste, elle pense à une révolution qui déborde les frontières et assume un caractère international4.
Dans sa première brochure, elle affirme: «Notre patrie doit être lunivers». Linstrument de la transformation sociale, cest cette armée laïque et pacifique de travailleurs, «lUnion ouvrière», à laquelle participeraient sur un pied dégalité absolue les hommes et les femmes et qui, par la persuasion, la pression sociale et lusage des institutions légales, transformerait la société. ( )
Elle constatait ainsi: «Jai quasiment tout le monde contre moi. Les hommes, parce que je demande lémancipation de la femme; les propriétaires, parce que je réclame lémancipation des salariés».
Dans leur première brochure écrite en commun, «La sainte famille»5, Marx et Engels se sont revendiqués de Flora Tristan pour les positions politiques quelle a défendues, pour sa lutte en faveur de lémancipation du prolétariat et des femmes. Aujourdhui, nous célébrons le deux centième anniversaire de sa naissanc, parce quelle a été une pionnière dans lanalyse des relations de genre et de classe, et dans la lutte pour linternationalisme prolétarien. Elle ne dissocia jamais la cause des femmes de celle de toute la classe ouvrière. Elle sadressa au prolétariat pour quil libère les femmes de leur esclavage millénaire, en même temps que lui-même se libérerait de loppression sociale capitaliste.
Malena VIDAL et Adela RECK
* Article publié en espagnol sur le site Rebelion (www.rebelion.org section «Pan y Rosas»). Notre traduction, très légèrement abrégée.
- Fondée en 1864, à Londres.
- Introduit à lépoque de la Révolution française, puis aboli par le Code Napoléon.
- Flora Tristan, Union ouvrière (suivi de Lettres de Flora Tristan). Paris, Ed. des Femmes, 1986.
- Au contraire de tendances récurrentes dans le mouvement ouvrier naissant, pour qui la France était de par ses traditions révolutionnaires la «patrie de la révolution» (cf. Alessandro Galante Garrone, Philippe Buonarotti et les révolutionnaires du XIXe siècle, 1828-1837, Paris, Ed. Champ Libre, 1975)
- Karl Marx & Friedrich Engels, La sainte famille, ou critique de la critique critique: contre Bruno Bauer et consorts, Paris, Ed. sociales, 1972.