Yves Bonnefoy, «Le sourire de tant d'années dans cette nuit»

«Comme j’ai maintenant 93 ans, il n’y a pas grand chose devant moi. En revanche, évidemment toute la vie que l’on a vécue commence à s’étager et votre mémoire découvre parfois une signification qui est restée immergée ou latente… »

Voilà comment Yves Bonnefoy, poète, traducteur et critique d’art né à Tours en 1923 et mort le 1er juillet dernier présentait sa dernière œuvre Ensemble encore dans l’émission « Boomerang » d’Augustin Trapenard (France Inter). Une sorte de parcours dans le dire vrai de la poésie «fondatrice de sens»:

«La mémoire est ce puits. Alentour, l’été,
La garrigue est déserte. Je suis là,
Je lève le couvercle de fer rouillé
De l’eau d’un autre siècle, d’un autre ciel,
Je me penche, c’est toi,
Le sourire de tant d’années dans cette nuit.
»
(Ensemble encore)

Yves Bonnefoy était l’un des plus grands traducteurs de Shakespeare. Un travail qu’il associait presque intimement à celui de la poésie: «Le traducteur recommence l’expérience spécifique du poète qu’il traduit» soutenait-il. Biographe poétique d’Arthur Rimbaud, il lui a dédié articles et essais durant plus de 40 ans, rassemblés pour part récemment dans une œuvre au titre tout rimbaldien: Notre besoin de Rimbaud (Seuil, 2009).

Enfin, Yves Bonnefoy était sans doute l’un des derniers grands poètes du 20e siècle. Ne cessant jamais d’interroger le monde à travers ses espaces de poésie. Dans le même interview, il affirmait: «La poésie a pour fonction fondamentale de ranimer les mots, de les rendre à leur capacité d’appréhension de la totalité du monde… »

En 2008, il avait prédit que le 21e siècle serait celui qui «bien possiblement verr[ait] la poésie périr, étouffée sous les ruines… » Et pourtant un peu en clin d’œil, il assurait quelques mois avant sa mort: «Devant moi il y a tout, il y a l’avenir de la poésie ».

Stéfanie Prezioso