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France : Loi Travail - le gouvernement s'use à user le mouvement

le gouvernement s’use à user le mouvement

Le gouvernement Valls a eu à nouveau recours au 49.3 pour imposer sa loi travail. Au nom de « l’intérêt général », Valls a décidé de passer outre le vote de l’Assemblée Nationale, et surtout la volonté de la majorité de la population, opposée à une loi qui va favoriser le dumping social. En fait d’intérêt général, il s’agit bien plutôt de satisfaire le MEDEF en usant de toutes les armes, y compris d’un autoritarisme affiché, assumé, à visage ouvert, faisant appel à la violence policière. Le mouvement social a entamé hier sa douzième journée de mobilisation et il ne semble pas vouloir s’arrêter. [SP]

Après l’immense manif  du 14 juin à Paris, le gouvernement a monté une très forte campagne de propagande dans tous les médias pour faire croire que le pays était à feu et à sang, que chaque manifestation devenait un champ de guerre civile. Notamment, les coups portés à une dizaine de vitres d’un hôpital parisien pour enfants ont servi de support à un déferlement médiatique visant à faire pression sur les dirigeants syndicaux pour que cessent les manifestations, et notamment celle prévue le 23 juin.

L’enjeu était bien de casser le mouvement en réduisant à néant sa principale expression, la manifestation parisienne. A cet effet, le gouvernement essayait de retourner l’opinion contre les manifestations en mettant en avant l’épuisement des forces de police, érigées en héros de la Nation depuis les attentats de novembre 2015 et mises en permanence sur un pied de guerre, avec l’Etat d’urgence, l’Euro 2016 et le mouvement social. Inutile de dire que la seule modification possible pour Valls résidait dans les manifestations qui, en étant supprimées, auraient soulagé CRS et gendarmes.


Doubichlou

Exécutif discrédité

Dans cette logique, Valls voulait imposer aux syndicats l’annulation de la manifestation du 23 juin et son remplacement par un simple rassemblement. L’interdiction d’une manifestation syndicale est un fait rarissime en France. Il faut remonter au 8 février 1962 pour retrouver une telle décision, lorsque, en pleine guerre d’Algérie, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, voulut interdire une manifestation des partis de gauche et des syndicats pour la paix en Algérie. Les attaques de la police contre les manifestant·e·s avaient causé, ce jour-là, la mort de huit personnes dans la bouche de métro Charonne, à Paris. La décision de Valls a déclanché un tollé général des organisations syndicales et, sur le plan politique, dépassant largement la gauche radicale et les écologistes. Même la CFDT s’est élevée contre cette décision, ainsi qu’un grand nombre de responsables du Parti socialiste.

Le premier, Olivier Besancenot, a annoncé dans les medias qu’il ne respecterait pas l’interdiction, suivi en moins d’une heure par des représentant·e·s du Parti de Gauche, du PCF, des responsables de l’Intersyndicale… et même de plusieurs « frondeurs » du Parti socialiste. Une nouvelle fois depuis février, Manuel Valls a sous-évalué la force du mouvement, la force du rejet de la loi Travail, et largement surestimé le rapport de force dont il pouvait, lui-même, disposer. Très rapidement, Hollande et Cazeneuve ont reculé, ont désavoué Valls et ont offert à l’Intersyndicale une victoire symbolique en levant l’interdiction et en acceptant une manifestation, même si elle n’a été autorisée que sur un parcours réduit au minimum.

Mouvement venu d’en bas

Cet épisode reflète les aspects contradictoires de la situation actuelle: le mouvement n’a pas la force de bloquer le gouvernement. Il n’y a pas eu, il n’y aura pas dans les prochains jours, de grève générale capable de bloquer l’économie, d’imposer, par un rapport de force direct, le retrait de la loi. Les militant·e·s mobilisés dans les entreprises, les localités, les militant·e·s des Nuit Debout étaient assez forts pour cela. Mais, pour aboutir, il aurait été nécessaire de ne pas disperser la mobilisation, qu’une direction du mouvement construise un réel affrontement sur la durée. Les directions confédérales CGT et FO ne voulaient pas de cet affrontement prolongé et offensif. Depuis mars, elles auront en permanence accompagné le mouvement, sans lui donner de direction offensive. Les salarié·e·s d’un grand nombre de secteurs sont entrés en grève, sur plusieurs jours depuis le mois de mars. Mais le mouvement a aujourd’hui épuisé ses forces de réelle mobilisation de grands secteurs professionnels.

Si, malgré cela, nous sommes arrivés à la fin du mois de juin avec le maintien d’un haut niveau d’affrontement, c’est bien parce que des dizaines de milliers de militant·e·s sont toujours mobilisés, imposant leur radicalité aux dirigeants syndicaux et s’appuyant eux-mêmes sur un discrédit profond de Hollande, de Valls, du PS et un rejet de la loi Travail. La cote de popularité de Hollande ne cesse de chuter (88% d’opinions défavorables dans le dernier sondage publié le 30 juin, Valls étant à 80%). C’est pour cela que nous sommes arrivés fin juin avec le maintien des manifestations et de nombreuses grèves dans des entreprises du privé, notamment les jours des manifestations intersyndicales. Ces contradictions sont toujours vivaces et, si l’on peut dire, le gouvernement n’arrive à user le mouvement qu’en s’usant lui-même.

Jeu de postures

L’obstacle qui se dresse devant Valls est le retour de son projet de loi le 5 juillet à l’Assemblée nationale. Tirant les leçons du discrédit entraîné par l’utilisation du 49.3 en avril dernier, le PS essaye de débloquer l’opposition interne qui risquerait de provoquer le même scénario la semaine prochaine, entraînant un approfondissement du discrédit de l’exécutif.

C’est ce qui explique le jeu politicien qui a amené Valls à recevoir les dirigeants CGT et FO le 29 juin et à donner l’image d’un gouvernement prêt au dialogue. Jeu de posture car Valls ne veut rien négocier sur le fond de sa loi. Le seul but était de montrer que l’ouverture était de son côté, voulant améliorer l’image hautaine et arrogante qu’il présente depuis plusieurs mois. Il est fort probable que la manœuvre aura fait chou blanc. Même si Mailly et Martinez étaient prêts à aller assez loin en ne mettant plus en avant le retrait de la loi qui est pourtant le mot d’ordre de l’Intersyndicale, cela n’aura servi à rien… Valls veut donner l’image de la souplesse sans vouloir plier l’échine.

Pourtant, la Direction de la CGT avait même donné un gage d’apaisement au gouvernement en refusant d’exercer son droit d’opposition aux accords signés par la CFDT et l’UNSA à la SNCF. Si la Fédération CGT avait joint sa voix à celle de SUD Rail, ces accords auraient été nuls et non avenus, redonnant de l’élan à la mobilisation. Jusqu’ici tout ce jeu de rôle n’a pas réussi à convaincre les député·e·s frondeurs du PS de faire à Valls le cadeau de leurs votes et tous les scénarios parlementaires sont encore possibles.

Libertés démocratiques bafouées

Parallèlement, malgré ce blocage et son discrédit croissant, le gouvernement s’enfonce jour après jour dans une politique de violence policière, d’atteinte aux droits démocratiques. Même non interdites, les deux dernières manifestations parisiennes auront eu lieu dans des corridors fermés par les forces de l’ordre, chaque manifestant·e devant passer plusieurs barrages avec fouilles corporelles et ne pouvant accéder au point de départ de la manifestation parisienne que par un parcours imposé. Là aussi, c’est une attaque sans précédent depuis des décennies, même lorsque dans les années 70, les manifestations étaient d’une autre violence avec un autre niveau d’affrontement avec la police.

La pression et les provocations sont omniprésentes. Le 28 juin, plus de cent interdictions préventives de manifester ont été prononcées contre des militant·e·s. A Paris, 2500 policiers ont encadré un parcours de 2,8 kilomètres de manifestations, armes au poing (lances grenades, flash balls, etc….). Pire, la police a franchi un nouveau pas en perquisitionnant ce même jour les domiciles de 5 militant·e·s parisiens, embarquant leur matériel informatique et les mettant en garde à vue. Le même jour, 200 militant·e·s (intermittents, postiers, …) rassemblés en coordination dans une Bourse du Travail avant la manifestation, ont été bloqués pendant plusieurs heures et interdits de fait de manifestation par les CRS et les gendarmes. Après la manifestation et la levée du blocage de la Bourse, plus de 800 militant·e·s s’y sont réunis en forme de protestation. D’autres exactions policières ont eu lieu dans des villes du pays, notamment à Lille où plusieurs militant·e·s ont été interpellés.

Une telle escalade policière dans la violation de droits démocratiques élémentaires est rendue facilement possible grâce à l’état d’urgence et l’arsenal de dispositions liberticides que le gouvernement a mis en place depuis les attentats de 2015.

Quelques jours après l’attentat homophobe d’Orlando, le gouvernement a même essayé, sans succès, de faire annuler la Marche des fiertés prévue à Paris le 2 juillet. Marche déjà reportée… pour ne pas gêner les matches de l’Euro 2016.

Violences policières sans fard

Les articles, enquêtes et dossiers sur les violences policières depuis le début du mouvement se multiplient, recensant les utilisations offensives d’armements, les matraquages à terre, etc…Un rapport sorti récemment par une commission d’enquête indépendante autour de journalistes du journal écologiste Reporterre est malheureusement éloquent: «l’action de maintien de l’ordre a pris en France un tour très dangereux, qui menace l’intégrité physique de nombreux citoyens·nes pacifiques, parfois de mineurs et même d’enfants. L’usage des lanceurs de balles de défense est devenu courant alors qu’il devrait être exceptionnel, voire interdit. Les tirs tendus de grenades se multiplient de manière inacceptable. L’utilisation de policiers en civil non identifiables pour des actions d’interpellation ou de répression est devenue systématique. Le non-respect du droit des journalistes à couvrir sans crainte les événements est devenu habituel…[Parmi des policiers interrogés], certains se disent instrumentalisés par le pouvoir, non afin de rétablir l’ordre, mais pour produire des images impressionnant nos concitoyens, comme si la France était menacée par des ‹casseurs› aussi violents qu’anonymes et comme étrangers au corps social» (reporterre.net)

Un artiste, Goin, a donné récemment une bonne illustration de la politique de Valls et Hollande dans une fresque exposée dans le cadre de la Street Art Fest de Grenoble, mettant en scène une Marianne à terre matraquée par deux CRS, l’un ayant un bouclier frappé du 49.3. La fresque a entraîné une vague d’indignation de responsables de droite et du PS, en premier lieu de Cazeneuve. Le blasphème antirépublicain étant intolérable pour ceux-là même qui étaient fiers de soutenir l’insolence et la liberté de ton des journalistes de Charlie Hebdo.

Léon Crémieux

Samedi 2 juillet 2016 Article écrit pour le site Viento Sur. Intertitres et adaptation de notre rédaction