Merci Patron! - Quand les pauvres reprennent aux riches

Quand les pauvres reprennent aux riches

Sorti en février 2016 dans les salles, Merci patron! est à l’affiche en Suisse romande depuis le 22 juin. Un film plein de dérision et d’humanité sur la réappropriation de la dignité.

On connaissait  en sociologie la recherche-action, qui vise à produire des connaissances en transformant la réalité étudiée. Avec le film de François Ruffin, on découvre le documentaire-action, qui place dans le cas présent le changement du rapport de force aussi bien au centre de son objet d’étude qu’au cœur de sa finalité.

« L’arnaque version lutte des classes »

Merci Patron! nous fait ainsi suivre le périple de François Ruffin dans sa volonté de réconcilier les anciens salarié·e·s du groupe LVMH avec leur patron, Bernard Arnault, quatorzième fortune mondiale et deuxième français le plus riche du monde derrière Liliane Bettencourt, un temps tenté par la nationalité belge et sa fiscalité avantageuse. Le tort de Bernard Arnault: être responsable, depuis sa reprise du groupe en 1973, d’une série de restructurations et délocalisations.

Symbole des laissé·e·s pour compte des jeux patronaux visant à maximiser les profits, la trame se centre autour d’un couple, Serge et Jocelyne Klur, anciennement employés d’Ecce, filiale du groupe produisant la marque Kenzo, remerciés à l’occasion d’une opération de délocalisation en Pologne. Avec 400 euros par mois pour vivre, bientôt mis à la porte de leur logement à cause d’une assurance impayée de 25 000 euros, ne réclamant qu’un travail pour pouvoir joindre les deux bouts, Serge et Jocelyne racontent le parcours de déchéance économique et sociale traversé par des milliers de salarié·e·s dépossédés de leur emploi à l’heure de la globalisation.

L’histoire de Merci Patron! n’est toutefois pas celle d’un apitoiement. Campant solidement son rôle ironique de facilitateur social, François Ruffin laisse s’y exprimer en miroir la réappropriation de la dignité de ce couple. Serge et Jocelyne deviennent en effet les acteurs principaux d’une combine qui leur permettra de récupérer 35 000 euros, et un emploi, en échange de leur silence. Le couple d’ouvriers fera chanter l’un des plus gros patrons de France, en agitant la menace de dévoiler aux médias leur histoire suite à la perte de leur emploi, au moment même où Bernard Arnault qui cherche à obtenir la nationalité belge, est sous le feu des projecteurs médiatiques.

La révolution commence-t-elle par soi-même?

Dans la lignée de Demain, Merci Patron! est donc le récit d’une expérience de lutte relativement individuelle, ponctuée toutefois en arrière-plan par la solidarité exercée par l’ex-déléguée CGT de l’usine et le rédacteur en chef de Fakir, dont le rôle d’épouvantail pour LVMH agit comme un aspect déterminant dans la décision du groupe de passer à la caisse en indemnisant le couple.

Les militant·e·s auront peut-être à la sortie du film la crainte que le succès de Serge et Jocelyne ne fasse oublier une réalité souvent moins glorieuse, le chantage médiatique n’étant malheureusement pas toujours aussi payant. Ils·Elles déambuleront sans doute également avec un sentiment en demi-teinte, la victoire présentée par Merci Patron! ne transformant pas fondamentalement les règles du jeu, se contentant – mais c’est déjà beaucoup – de reprendre aux riches une infime partie de la fortune acquise sur le dos des travailleurs·euses.

Utilisant les ressorts de l’ironie, version Michael Moore mais en plus léger, le film dit pourtant beaucoup du mépris patronal et éclaire finement la faiblesse des puissant·e·s, obnubilés par le fait que le couple conserve le secret des négociations, paranoïaques de la confidentialité, pour lesquels la plus grande arnaque est certainement la diffusion de ce secret à déjà plus de 500 000 spectateurs·trices en France…

Sa force et son impact sur un large public réside peut-être justement dans sa légèreté. Face à un syndicalisme souvent désillusionné d’avance par les expériences de défaites, compliqué par le désir de trouver une solution globale aux problèmes de répartition entre Travail et Capital, Merci Patron! offre justement une voie d’espoir et démystifie la lutte syndicale en la rendant proche et accessible. Un film à voir!

Audrey Schmid