Stoppons TISA et TTIP!

Ces acronymes sont les enfants plus ou moins légitimes de l’Accord général sur les services (AGCS), qui, au début des années 2000, devait ouvrir la voie de la libéralisation de services et de la mondialisation heureuse… TISA, l’Accord sur le commerce des services, va plus loin que l’AGCS, trop atrophié pour les néolibéraux. Le TTIP, ou Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, pose lui des mines sous tout ce qui pourrait ressembler à une vague régulation du marché. Deux traités à combattre donc. En Suisse aussi? En Suisse aussi, avec une manifestation nationale le 8 octobre à Berne.


Un rouleau compresseur néolibéral nommé Schneider-Ammann

Une lettre ouverte au président de la Confédération, Johann Schneider-­Ammann, vient d’être lancée par un grand nombre d’organisations (PS, JSS, Verts et Jeunes Verts, Greenpeace, des syndicats de l’USS, Uniterre et des organisations humanitaires, entre autres). Cette lettre ouverte, dont la version française clampine un peu, s’élève justement contre l’opacité de ces négociations et dénonce la participation active de diplomates suisses aux discussions de TISA.

Passons sur l’ambiguïté du sous-titre, «Pour ne pas fracturer notre démocratie – ensemble contre TTIP, TISA & CO», qui laisse croire que le destinataire de la lettre pourrait faire partie de l’ensemble recherché. Voyons-en la critique principale: «A l’aide de tribunaux arbitraires (sic), dont les décisions seraient totalement opaques au public, les entreprises multinationales pourraient révoquer toute loi qui serait considérée comme contraignante. Elles auraient aussi la possibilité de porter plainte contre cesdites lois et demander des milliards d’indemnités à la population suisse. Avec de telles clauses, l’Etat de droit, la souveraineté populaire, ainsi que la démocratie sombreraient dans le chaos. Nos conditions de travail, notre service public, notre environnement, notre santé, ou encore la protection des données, tout ce dont la Suisse a besoin pour garantir à ses citoyens et citoyennes une qualité de vie décente braverait un grave péril.

Nous nous opposons au dictat des entreprises multinationales, qui fracturerait l’Etat de droit et la démocratie. Nous souhaitons ainsi lutter contre la priorité accordée aux intérêts marchands des entreprises multinationales, qui s’opposent aujourd’hui au bien commun de la société suisse.»

La lettre exige ensuite que les contenus exacts des accords TISA et TTIP soient publiés et que les résultats des négociations et les accords soient soumis au référendum populaire, afin de «préserver notre démocratie».

D’évidence, ces accords auraient des conséquences catastrophiques sur les conditions de vie et de travail de la population de ce pays. Rassembler un large front contre TISA et TTIP est donc plus que souhaitable. C’est bien pourquoi nous participerons à la manifestation du 8 octobre. On peut toutefois s’interroger sur la voie choisie et sur quelques arguments invoqués.

Une lettre ouverte des pompiers à l’incendiaire?

Outre ses compétences d’optimisateur fiscal des revenus familiaux, Johann Schneider-Amman est non seulement un néolibéral convaincu, il est aussi chef du gouvernement qui envoie ses diplomates du Secrétariat à l’économie (SECO) discuter avec les Etats-Unis, l’Union européenne et une vingtaine d’autres pays. Les Helvètes font plus que discuter: ils jouent un rôle actif dans la coalition dite «de bonne volonté» (Koalition der Willigen) qui cherche à faire aboutir rapidement TISA.

Bref, l’Etat suisse, à travers son exécutif, a clairement choisi son camp. C’est donc une lutte qu’il faut engager sans illusions sur le rôle du gouvernement, avec des perspectives de mobilisation longues et difficiles. Quelque chose de conflictuel, qui porte un nom et que le Conseil fédéral et les multinationales mènent activement: quelque chose comme une lutte des classes. Nul besoin de souligner qui remporte depuis de longues années cette lutte. Le fair-play n’en fait pas partie et le Conseil fédéral n’en est pas l’arbitre.

C’est brouiller les enjeux et nourrir la confusion que de laisser croire que la «préservation de la démocratie» dépend du bon vouloir de M. Schneider-­Amman. Parce qu’alors elle serait singulièrement en danger, puisque les résultats des négociations – le despotisme légal des transnationales – n’ont pas fait lever le premier poil des sourcils de ce grand démocrate. Et pourquoi auraient-elles choqué celui qui affirme tranquillement: «Nous avons une gouvernance économique efficace, dans la mesure où nous créons de bonnes conditions-cadres. La tâche de l’Etat consiste à démanteler la bureaucratie, réduire le nombre des prescriptions, et éliminer les obstacles techniques dans les négociations. Dans ce cadre, l’Etat n’a pas à dire aux entreprises ce qu’elles doivent faire. Elles le savent beaucoup mieux que lui». (Die Volkswirtschaft, la revue éditée par son département, 25 juillet.). TISA ne fait peut-être qu’éliminer des obstacles techniques, aux yeux de Schneider-Amman?

Droits démocratiques et Etat de droite

Incontestablement, les traités comme TISA ou TTIP entraînent de graves atteintes aux droits démocratiques et confèrent une toute-puissance inégalée aux transnationales. La Suisse accueille nombre de sièges de ces entreprises dont le diktat, dit la lettre ouverte, «fracturerait l’Etat de droit et la démocratie». A travers ses gouvernements, cantonaux comme fédéral, et leur politique fiscale, ce pays fait la cour aux transnationales. L’argent qu’elles ne versent pas dans les caisses publiques peut ainsi aussi financer l’intense travail de lobbying qu’elles mènent tout au long des négociations des traités internationaux de libre-échange.

Oui, les multinationales n’ont aucun respect des droits démocratiques – et des autres non plus, du reste – quand leurs profits sont en jeu. Mais non, l’Etat suisse réellement existant ne les combattra pas. Sauf si une très forte pression s’exerce contre lui et en défense de nos droits démocratiques. Cela suppose de ne pas se leurrer sur la solidité de certaines planches pourries présentées comme des alliés potentiels.

Daniel Süri