Bandes dessinées en lutte

Manu Larcenet
Le rapport de Brodeck
Dargaud, 2015


Le Rapport de Brodeck

Encore un coup de génie de celui qui peut sans conteste être considéré à l’heure actuelle, comme l’un des plus grand bdistes de la francophonie. Auteur du fabuleux Blast, Manu Larcenet nous offre encore une fois une inoubliable visite poétique dans les tréfonds les plus sombres de l’être humain. Pour cela, il se sert du très beau roman de Philippe Claudel Le Rapport de Brodeck qu’il met en image avec brio.

Le Rapport de Brodeck, c’est l’histoire d’un petit village dans l’Est de la France, après la Deuxième guerre mondiale, proche de l’Allemagne, mais coupé du monde et de l’humanité. Un étranger venu étudier ce petit bout de terre y trouve la mort sous les coups des villageois effrayés par cet autre. Pour ce disculper, ils chargent immédiatement, l’autre étranger, celui qui ne devrait pas être là, celui qui a survécu aux camps de concentration, Brodeck, de rédiger un rapport. C’est l’histoire de la violence, de la peur, de l’altérité, bref c’est l’histoire des hommes.

Charles Masson
Droit du Sol
Casterman écritures, 2009

Mayotte, regroupement d’îles de l’Océan Indien situées dans l’archipel des Comores, est un département français et depuis 2014, une région ultrapériphérique de l’Union Européenne. Dans ce roman graphique, Charles Masson essaie de cerner ce petit bout de la République Française et les enjeux qui le traversent. D’un côté, les clandestins qui cherchent au péril de leur vie, à venir sur cet Eldorado dont le PIB est neuf fois supérieur à celui des Comores. Les femmes enceintes sont en première ligne car le droit du sol représente une opportunité unique d’assurer un avenir à leurs enfants. De l’autre côté, les expatriés français, dont les portraits sont autant de manière pour l’auteur de nous montrer les différentes formes de domination coloniale. Et lorsque ces deux mondes se rencontrent, nous comprenons que ce petit territoire, vestige de l’Empire colonial français, vit dans une tension constante entre les politiques de la métropole et la misère de la région.

Art Spiegelman
«Maus», L’intégrale
Flammarion, 2003

Bien entendu nombre d’entre vous doivent déjà connaître cet ouvrage exceptionnel, mais je ne pouvais me résoudre à alimenter une rubrique sur la bande dessinée en lutte, sans présenter l’un de ces chefs d’œuvre: Maus. Best-seller, prix Pulitzer 1992, ce roman graphique autobiographique d’une rare finesse, nous replonge dans les heures sombres de l’histoire à travers une histoire originale. L’auteur nous met aux prises avec un double récit. Le sien, en train de réaliser ce roman graphique en interrogeant son père, juif rescapé des camps, avare et passablement torturé. Puis celui de son père et de sa famille juive durant la Seconde guerre mondiale en Allemagne et Pologne. S’appuyant sur une représentation animale des différents peuples qui sert magnifiquement le récit, Art Spiegelmann nous offre à la fois un témoignage poignant d’un rescapé d’Auschwitz, mais aussi son histoire, celle d’un fils de rescapé qui oscille entre la volonté de rendre hommage à son père et le rejet de ce lourd héritage. Il faut le lire, il faut l’offrir, il faut le conseiller…

Brian Wood, Riccardo Burchielli
DMZ T.1-T.13
Vertigo, Panini Comics, 2006–2013

Dans cette série d’anticipation, nous nous trouvons aux Etats-Unis où une guerre civile est déclarée entre le gouvernement américain et les États Libres qui s’opposent aux stratégies de guerre préventive des USA. Le conflit fait rage, mais les lignes de fronts sont bloquées à la hauteur de Manhattan qui est devenu la DMZ, zone démilitarisée où zone tampon. Cette zone que personne ne contrôle est habitée par les plus pauvres, ceux qui n’ont pas pu se faire évacuer avant le début du conflit, mais aussi par toutes sortes de parias, de gangs et de déserteurs.

Dans ce récit, nous suivons Matty, photographe stagiaire parachuté dans la DMZ avec une équipe de reporters qui se font immédiatement tuer. Il est le seul survivant, il est le seul à pouvoir donner des informations sur la DMZ, sur ce qui s’y passe. Entre misère, auto-organisation, opérations militaires et actions des gangs, le duo d’auteur américano-italien nous offre une très belle série qui nous plonge dans la réalité des zones de guerre et nous questionne sur l’activité des reporters. Belle découverte.

GIPI
Notes pour une histoire de guerre
Actes Sud BD, 2005

Cet auteur italien a fait une entrée fracassante dans le monde de la bande dessinée avec son premier ouvrage en 2005, Notes pour une histoire de guerre. Ce récit contant l’histoire de trois adolescents se frayant un chemin durant une guerre à fortement marqué les esprits et lui a valu le prix d’Angoulême. Loin de nous proposer une histoire victimaire de ces trois jeunes, Gipi nous montrent comment ils traversent ce conflit en agissant, quitte à choisir des chemins peu reluisants. En mettant au centre la réflexion sur le libre-arbitre comme nécessité pour la survie, GIPI vient interroger notre conception binaire et moralisatrice de la réalité. Avec un dessin direct et percutant, il nous offre une œuvre philosophique et poétique de tout premier ordre. Il ne reste plus qu’à s’asseoir et lire! PaC