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Uber : Un patron, un million de salariés et leurs droits

La multinaionale US agit bien comme un employeur et doit donc assumer ses obligations patronales. C’est le résultat d’un récent avis de droit commandité par le syndicat Unia auprès du professeur bâlois Kurt Pärli. Selon l’expert, les conditions d’un rapport de travail salarié tel que défini par le Code des Obligations sont remplies, à savoir la présence d’un contrat de durée, dans un rapport de subordination et contre rémunération.

«Devenez votre propre patron»: voilà le genre de publicité alléchante que l’on trouve sur le site internet d’Uber. Mais comment les choses se passent-elles en réalité? Lorsqu’une personne souhaite devenir chauffeuse·eur pour Uber, elle signe un «contrat de mandat» lui donnant accès à l’application qui la met en relation avec les passagers·ères. En échange, elle s’engage à verser à Uber une taxe de 20 % des montants perçus. Pour contourner les obligations incombant à tout employeur en matière de droit du travail et des assurances sociales, Uber a conçu un système faisant passer les chauffeurs·euses pour des indépendant·e·s. Une manière de s’affranchir du paiement de la part du salaire indirect (rentes vieillesses, indemnités chômage, etc.) pour accroître ses profits!

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Indépendance toute fictive

Pourtant, selon le professeur Pärli, différents éléments attestent de l’existence d’un rapport de travail salarié. Par exemple, les modalités de rémunérations ou de résiliation du contrat sont décidées par Uber. Les nombreuses directives que les chauffeurs·euses sont tenu·e·s de respecter indiquent qu’ils·elles se soumettent bien à des ordres. L’évaluation de la satisfaction des client·e·s est elle aussi fixée par Uber: un·e chauffeur·euse n’obtenant pas assez d’étoiles se retrouve vite sans travail, tout comme en cas de refus régulier d’effectuer des courses. L’indépendance des chauffeurs·euses est donc fictive et leur patron… c’est Uber.

Quelles conséquences doit-on en tirer? D’abord, que les filiales suisses de l’entreprise Uber sont tenues de respecter la législation suisse en matière de droit du travail. Les contrats doivent respecter les obligations fixées par le Code des obligations ainsi que les dispositions de la Loi sur le travail, et en particulier son ordonnance sur les chauf-feurs·euses. D’autre part, Uber est un employeur au regard des assurances sociales et doit s’acquitter des charges sociales correspondantes, ce que la SUVA avait déjà affirmé. Ensuite, il incombe aux autorités fédérales et cantonales de prendre des mesures pour qu’Uber se soumette bel et bien à ces lois.

Quant aux chauffeurs·euses d’Uber, ces constats serviront-ils de catalyseur pour s’organiser et demander le respect de leurs droits? Car au-delà de l’image d’Epinal du chauffeur indépendant «libre» et affranchi du salariat vendue par l’entreprise, se cache surtout une forme de précarité nouvelle et de dumping salarial.

Infractions multiples

Heureusement, Uber ne parvient pas à saper complètement ni les droits de ses employé·e·s, ni leur capacité à s’organiser. En juin dernier en France, Uber a écopé d’une amende de 800 000 euros pour avoir violé la loi. Ce jugement fait suite à l’interdiction prononcée en juillet 2015 contre le service UberPOP (conducteurs·trices sans autorisation professionnelle) ainsi qu’à une précédente condamnation pour publicité mensongère. De son côté, l’Urssaf, l’organisme français chargé de prélever les cotisations sociales, a également attaqué Uber en justice pour travail dissimulé. L’affaire est aujourd’hui devant les tribunaux. On se souvient que les chauffeurs·euses avaient manifesté l’automne dernier à Paris contre la baisse des tarifs décidée par Uber, sans parler de la grogne des syndicats de taxis.

En 2014 aux USA, quelque 300 000 chauffeurs·euses Uber avaient exigé de voir leur statut de salarié·e·s reconnu. Uber avait alors proposé un accord: 100 millions d’indemnités en échange de la non-reconnaissance de son rôle d’employeur. Un tribunal a récemment jugé cet accord inadéquat, car trop éloigné des montants exigés par les plaignant·e·s en compensation des frais qu’ils·elles devaient prendre en charge comme (faux) «indépendants» (essence, entretien du véhicule, etc.), à savoir 852 millions, auxquels s’ajoutent des pénalités financières évaluées à un milliard.

Auto-entrepreneurs ou auto-exploités?

La question qui se pose est de savoir si Uber se pliera aux réglementations en vigueur, en matière de droit du travail mais aussi de concurrence déloyale, d’exigences fiscales ou encore de droit des transports. Car si l’entreprise a été condamnée à plusieurs reprises en vertu des lois existantes, le boom de la start-up a aussi eu pour effet de les faire évoluer. A Genève par exemple, Pierre Maudet ne cache pas ses ambitions: il veut libéraliser le marché en intégrant les plateformes type Uber, qu’il juge complémentaires au service public. Le Grand Conseil devrait se prononcer sous peu sur un projet de loi concocté par le magistrat.

Dans l’esprit du «There is no alternative» de Thatcher, les «démocraties» capitalistes vont-elles sacrifier les droits des salarié·e·s au profit du modèle de l’auto-entrepreneur précaire? Celui-ci accompagne en tout cas à merveille les politiques d’austérité imposées partout en Europe: là où l’Etat se désengage, les «individus entrepreneurs» prennent le relai. Mais qu’on ne s’y trompe pas, on est loin d’un modèle d’autogestion collective et solidaire. La société «uberisée», c’est plutôt l’auto–exploitation et la jungle du chacun·e pour soi. Si les utilisateurs·trices d’Uber, comme celles·ceux des services similaires (Airbnb, Blablacar, etc.) y trouvent sans doute un intérêt à court terme, ils participent à un démantèlement des services publics dont ils seront les premiers à payer les conséquences.

Marie Nozière