Etats-Unis
Etats-Unis : Un mouvement de masse contre l'esclavage carcéral
«Le 9 septembre 1971 les prisonniers ont pris le contrôle et fermé Attica, la principale prison de l’Etat de New-York. Le 9 septembre 2016, nous lancerons un mouvement pour fermer les prisons de tout le pays. Nous ne faisons pas que demander la fin de l’esclavage carcéral, nous l’arrêterons nous-mêmes, en cessant d’être des esclaves».
Ainsi débute l’appel à la journée de lutte du 9 septembre, diffusé par le mouvement des prisonniers et prisonnières aux Etats-Unis. Un texte en direction des 2,4 millions de personnes emprisonnées dans le pays, en écrasante majorité des noirs et latinos issus des classes populaires.
Une lutte qui vient de loin
Dans son texte, le mouvement rappelle que la lutte dans les prisons vient de loin. Il y a eu les mobilisations historiques des années 70, à San Quentin, Walpole ou Soledad. Après une période de reflux, la lutte a récemment repris de l’ampleur. En 2010, des milliers de prisonnier·e·s ont croisé leurs bras dans les pénitenciers de Géorgie, rapidement rejoints par leurs camarades de l’Illinois, Virginie, Caroline du Nord et Washington. En 2013, dans les prisons de Californie 30 000 personnes ont participé à une grève de la faim de masse contre l’isolement carcéral.
Des luttes qui ont également permis de rassembler au-delà des motifs de détention, comme en décembre 2015, lorsque les détenues en exécution de peine à la prison de Juba ont rejoint la lutte des migrantes en détention administrative dans le même centre, en grève de la faim pour protester contre leur expulsion du pays. Il s’agit donc d’un mouvement de masse, fédérateur, capable d’actions radicales et démontrant une capacité d’organisation croissante.
Pour l’abolition de l’esclavage carcéral
L’appel du 9 septembre met l’accent sur la principale revendication de la lutte, soit l’abolition de l’exploitation du travail des personnes détenues. «Les prisonniers sont forcés à travailler pour peu ou pas de salaire. C’est de l’esclavage […]. Si nous ne nous exécutons pas comme ils le souhaitent, nous sommes punis. Ils peuvent avoir remplacé le fouet par le spray au poivre, mais de nombreux autres châtiments demeurent pratiqués: isolement, technique de contrainte, dénudation et inspection de nos corps comme si nous étions des animaux».
Dans certains Etats, les travailleurs et travailleuses incarcérées sont rémunérées quelques centimes de l’heure. Dans d’autres, aucun salaire ne leur est versé. Un esclavage légalisé qui touche des centaines de milliers de prisonnier·e·s et qui génère 2 milliards de dollars de profits. L’exploitation carcérale contribue également, en grande partie, au fonctionnement des centres de détention. Ce sont en effet les personnes détenues qui s’occupent de cuisiner, nettoyer, réparer et fournir le travail nécessaire au fonctionnement de la prison.
C’est justement en raison de la prise de conscience du caractère indispensable de leur contribution que le mouvement appelle à ce que cesse toute collaboration avec l’institution responsable de la torture et de l’esclavage. Si le mouvement demande la solidarité du monde extérieur, les principaux destinataires de l’appel sont tou·te·s les prisonnier·e·s qui fournissent des services à l’institution carcérale. Il ne s’agit pas de demander à l’Etat de cesser l’exploitation du travail des prisonnier·e·s, mais bien à ces derniers de cesser de se faire exploiter, en refusant de fournir toute forme de travail qui génère un profit et qui contribue au fonctionnement de l’institution carcérale.
Une grève historique
Malgré la mise à l’isolement de nombreux leaders du mouvement, ainsi que des efforts des autorités d’exécution de peine visant à entraver les communications entre les différentes prisons, le mouvement a su dépasser tous les obstacles. Le 9 septembre des mobilisations ont été recensées dans 40 à 50 prisons, situées dans 24 Etats.
La lutte a pris différentes formes, des grèves du travail ou de la faim, jusqu’à des mutineries, avec sabotages et destruction de la prison. Le nombre des participant·e·s ne peut être établi avec certitude, mais selon la section du syndicat Industrial Workers of the World (IWW) chargée de l’organisation des travailleurs et travailleuses incarcérées, à ce jour plus de 20 000 personnes détenues auraient pris part au mouvement.
Un sujet révolutionnaire et capable de s’auto-organiser
Le succès du mouvement de lutte et la journée historique du 9 septembre suscitent trois constats, proposés en guise de conclusion afin d’alimenter la réflexion et le débat.
Premièrement, la lutte dans les geôles américaines démontre qu’il existe un mouvement de masse, organisé et radical, réunissant l’un des secteurs les plus marginalisés des classes populaires et cela au sein d’un des principaux Etats impérialistes. Une lutte qui semble pourtant passer quasiment inaperçue aux mouvements de la gauche européenne, ce qui mériterait une réflexion et une autocritique sérieuse.
Deuxièmement, le caractère massif de la mobilisation, la radicalisation des formes de lutte déployées ainsi que le niveau de l’analyse et des revendications exprimées démontrent la capacité des prisonnier·e·s de se proposer en tant que sujet révolutionnaire potentiel au sein des Etats du premier monde. Une analyse qui ne semble malheureusement plus d’actualité pour la gauche européenne, cela malgré le nombre croissant de prisonnier·e·s et la composition sociale de la population incarcérée.
Enfin, les révolté·e·s des prisons américaines nous confirment qu’il existe une capacité d’auto-organisation des exploité·e·s, cela même dans des contextes particulièrement difficiles. Le succès de la journée de lutte, dû au refus du mouvement de déléguer la direction à des avant-gardes non directement concernées, pourrait servir d’exemple à bien des luttes, également de ce côté-ci de l’océan.
Olivier Peter