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A voir : Fuocoammare, par-delà Lampedusa

«How many people! », «What’s your position! », c’est avec ces deux phrases laconiques prononcées par les garde-côtes en direction d’un bateau de migrant·e·s en détresse que le documentaire de Gianfrano Rosi commence. Une manière de nous confronter directement à une dure réalité.

Sous la caméra, deux destins

Fuocoammare (qui signifie «Feu en mer», en français) dresse un portrait brut, sans voix off ni commentaire, du sort de milliers de migrant·e·s qui arrivent des côtes d’Afrique du Nord sur l’île italienne de Lampedusa, la plupart dans des conditions catastrophiques. On découvre ainsi comment les garde-côtes secourent les bateaux en détresse, après avoir reçu des appels à l’aide à la radio, et évacuent un à un les réfugié·e·s et les cadavres qui s’entassent dans des bateaux bondés. Ces images sont suivies de celles montrant leur « accueil » dans des centres pour réfugié·e·s de Lampedusa.

En parallèle de l’arrivée des réfugié·e·s sur l’île italienne, le documentaire filme le quotidien des insulaires, notamment celui de Samuele, un jeune adolescent de 12 ans qui adore tirer et chasser avec sa fronde ou partir à la pêche avec son père. Son quotidien ressemble à celui de n’importe quel garçon de son âge, sauf que Samuele n’habite pas sur une île comme les autres. Le garçon est un habitant de Lampedusa, cette petite île italienne de 20 km2 qui représente une frontière hautement symbolique de l’Europe-forteresse, du fait de sa situation à 110 km des côtes africaines. Ces vingt dernières années, Lampedusa a été traversée par près de 400 000 migrant·e·s fuyant la misère ou la guerre à la recherche d’une vie meilleure.

A côté de ce drame, le réalisateur nous confronte à une certaine indifférence ou impuissance des habitant·e·s de Lampedusa, qui ne croisent jamais les migrant·e·s qui s’échouent pourtant à proximité de leurs côtes maritimes. A l’image de cette scène montrant une femme qui fait la cuisine et qui, en entendant le nombre de mort·e·s en mer aux nouvelles à la radio, s’exclame: « pauvres gens », tout en continuant à vaquer à ses occupations.

Un film qui dénonce

Gianfrano Rosi dévoile ainsi une miniature de ce qui se passe actuellement dans toute l’Europe, où s’exprime avant tout les peurs et les sentiments négatifs vis-à-vis des migrant·e·s qui sont comme des ombres avec lesquelles on ne communique pas. Les migrant·e·s qui meurent en mer sont réduits à des chiffres entendus aux nouvelles, qui ne traduisent plus grand-chose de la réalité. Pourtant, nous sommes les témoins de l’une des plus grandes tragédies humaines de l’histoire européenne.

En récompensant Fuocoammare de l’Ours d’or, la plus prestigieuse récompense décernée lors du Festival international du film de Berlin, le jury de la Berlinale voulait envoyer un message aux dirigeant·e·s européens au moment où ces dernier·ère·s cherchent coûte que coûte à réduire l’afflux des migrant·e·s. Le talent cinématographique de Gianfranco Rosi offre un puissant choc salutaire face à la menace de l’indifférence. En témoigne sa déclaration après avoir reçu son prix: «En ce moment, toutes mes pensées vont à tous les gens qui ne sont jamais arrivés à Lampedusa pendant ce voyage de l’espoir».

Refugees welcome

Le cauchemar vécu par ces migrant·e·s nous rappelle que ni la mer, ni les murs et encore moins les barbelés dressés à nos frontières n’empêcheront ces êtres humains de fuir la misère. Et pour celles et ceux qui survivent à la traversée, le chemin de croix pour rester en Europe ne fait que commencer, en témoignent les accords de Dublin que la Suisse continue honteusement d’appliquer. Alors que «les bateaux coulent! » et que «la Suisse refoule! », il devient alors du devoir de chacun·e de nous de les assister, de les protéger, de les accueillir et de les soutenir dans leurs luttes, même s’il est pour cela nécessaire de faire appel à la désobéissance civile.

Jorge Lemos