La préférence indigène au coeur du Schulterschluss

Alors que nous assistons à la refonte d’un bloc bourgeois rebaptisé le Schulterschluss (quelque chose comme le rapprochement, réd.), capable d’atténuer les divergences entre les deux grandes forces de la bourgeoisie helvétique, à savoir le PLR et l’UDC, la thématique de la préférence indigène semble révéler les tensions à l’œuvre. Divergence ou gesticulation?


Martin Abegglen

Aujourd’hui en Suisse, la préférence indigène est au centre de nombreux débats. Cette vieille recette populiste est portée fortement par les partis xénophobes comme l’UDC et le MCG. Mais loin de ne se résumer qu’à une rhétorique raciste, ce concept gagne du terrain dans l’opinion populaire ainsi que dans l’ensemble des structures politiques du pays. Le projet de mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse proposée par le Conseil fédéral et qui semble être adoubé par une grande partie de l’éventail politique en est la parfaite illustration.

Les offensives réactionnaires se multiplient

Cette thématique est également présente dans différents contextes cantonaux. Ainsi, l’acceptation en septembre dernier de l’initiative UDC « D’abord les nôtres » au Tessin, consacrant la préférence cantonale dans la Constitution tessinoise a, semble-t-il, fait des émules. A Genève par exemple, l’UDC vient de déposer un projet de loi constitutionnel qui souhaite inscrire dans la Constitution un droit à l’emploi artificiellement lié au lieu de résidence. Ce texte de loi pose même la préférence cantonale comme un outil de lutte contre le dumping salarial et la discrimination à l’embauche.

Outre l’évident discours xénophobe que ce projet permet de tenir, il génère également une grande confusion sur la question de la protection des travailleurs et travailleuses. Les patrons et les syndicats s’opposant à juste titre à ce texte, l’UDC apparait alors comme la force d’opposition proche des salarié·e·s. Cette offensive réactionnaire nécessite une réponse alternative offrant une réelle protection contre le dumping salarial, sans quoi, le premier parti de Suisse continuera de capter les mécontentements populaires.

Une bourgeoisie en conflit

Cependant, loin de ne poser problème qu’à notre camp, la diatribe xénophobe semble parfois incommoder une partie de la bourgeoisie. Ainsi, la NZZ ouvrait son édition du 15/16 octobre dernier par un plaidoyer pour un nouveau néo­libéralisme en attaquant frontalement la gauche et l’UDC qui seraient d’affreux protectionnistes qui entravent la liberté de commerce. L’éditorialiste menace clairement l’UDC de stopper leur rapprochement si le parti « agrarien » ne se rallie pas au projet de loi d’application de l’initiative contre l’immigration de masse.

Dans le même ordre d’idée, Broulis et Maudet sont montés au front pour réclamer des contingents supplémentaires de permis B et L en critiquant ouvertement la politique de l’UDC et la fermeture des frontières. Cette offensive publique des deux magistrats PLR a clairement pour but de mettre la pression pour que le parlement accepte le projet gouvernemental de loi d’application. Ces deux interventions montrent que ces questions agitent la bourgeoisie helvétique et que des tensions relativement fortes existent entre le PLR et l’UDC.

Un réel conflit ou les deux faces de la même pièce?

Ce conflit doit-il nous réjouir? Signifie-t-il la fin du Schulterschluss? Rien n’est moins sûr. S’il ne faut pas sous-estimer les tensions à l’interne de ce bloc, ces deux attitudes peuvent également être vues comme les deux faces d’une même pièce. Toutes deux cherchent à favoriser la mise en concurrence généralisée des salarié·e·s et à démanteler les conditions de travail. Ainsi, même si le PLR se montre hostile aux initiatives locales et aux contingents, il semble être d’accord avec l’UDC pour une préférence indigène au niveau national. Cet accord permettrait de mettre à mal les quelques mesures d’accompagnement qui protègent les travailleurs et travailleuses, de durcir les conditions d’accès pour les salarié·e·s étrangers afin d’accroitre la mise en concurrence et de garantir une flexibilité permettant de répondre aux besoins de main-d’œuvre spécialisée des entreprises.

Une partition en duo

Ainsi, si cette dynamique se confirme, la mise en scène des discordes du bloc bourgeois pourrait être le centre de la stratégie du Schulterschluss. L’UDC dans un rôle d’épouvantail et le PLR dans celui du point de fixation d’alliances très à droite. En effet, en durcissant les débats, l’UDC impose au PLR de devoir faire alliance avec les forces du centre et du centre gauche pour trouver une majorité parlementaire.

Cette logique d’alliance favorise un glissement du PS et des Verts vers la droite, mais aussi des centrales syndicales et des faitières associatives. L’exemple de la Loi sur l’asile dont le contenu était à 70% issu des propositions de l’UDC, qui a été soutenu par le PLR, le PSS et des associations, mais combattu par l’UDC, illustre parfaitement cette réalité.

La problématique de la préférence indigène doit pour nous être un test de ce point de vue là. Le scénario politique concernant l’application de l’initiative du 9 février risque fortement d’être identique à celui de la loi sur l’asile, avec un ralliement du PSS et des centrales syndicales à l’idée de préférence indigène. Nous devons donc favoriser un regroupement à gauche des forces du centre gauche, des centrales syndicales et de la gauche radicale afin de lutter contre ces politiques xénophobes et de nous opposer à la destruction des conditions de travail. Combattre cette préférence, au niveau national comme au niveau régional, à travers des coalitions politico-­syndicales profondément ancrées à gauche peut permettre de mettre à mal la stratégie du bloc bourgeois en tiraillant le PSS et l’USS. Si le PLR est le point de fixation à droite, nous devons devenir celui situé à gauche.

Pablo Cruchon