Le mouvement féministe solidaire des femmes de l’ombre

Le mouvement féministe solidaire des femmes de l’ombre

Suite à la journée de réflexion autour du travail domestique dans une perspective de solidarité avec les femmes sans statut légal, pour mieux saisir les enjeux réels de cette lutte quotidienne, nous nous sommes entretenus avec une femme active dans le collectif des travailleuses sans statut légal.


Pour comprendre, tout d’abord le cadre de travail pour une femme sans statut légal. Le travail d’enquête réalisé autour des permanences syndicales montre que l’emploi des travailleuses et travailleurs sans statut est très majoritairement féminin, et qu’il est le fait de femmes jeunes, employées dans le secteur informel de l’économie domestique, majoritairement latino-américaines.


Les rapports de genre pèsent lourdement sur ces femmes, qui sont plus précarisées que leurs homologues mâles. Si un homme seul peut avoir un travail dans le secteur du nettoyage, il le cèdera souvent à sa compagne dès qu’ils seront réunis. A ceci s’ajoute la double journée, car à l’intérieur du ménage l’homme adoptera facilement une attitude machiste. Et les responsabilités se feront encore plus importantes dans la mesure ou l’accès à l’emploi sera plus facile pour la femme.


En effet, les secteurs moins précarisés sont également moins accessibles, et l’homme qui est en attente peut devenir une charge supplémentaire…

Du paradis à l’enfer

D’une situation qui devient impossible dans son pays, en échos d’un pays séduisant avec une monnaie forte, le parcours d’une travailleuse sans statut se formule dans un espace entre l’urgence et le rêve. A l’arrivée, seule la première persiste…


Que ce soit la violence, la corruption, la précarité économique qui marque le choix du départ, ces éléments se retrouvent largement dans la réalité quotidienne des travailleuses sans statut légal.


Les premières femmes venues pour travailler dans l’économie domestique, il y a dix ou quinze ans, les «pionnières», sont venues sans connaître personne ici et sans repères. Elles ont connu des conditions de travail beaucoup plus difficiles. Le lien se faisait souvent par la langue, elles travaillaient donc pour des familles hispanophones.


Le premier travail était dans la règle un travail «nourri-logé», formule qui dissimule mal un emploi continu, consistant à assumer toutes les tâches de la maison, de la garde des enfants, sans limites horaires et pour un salaire dérisoire, quand il y a salaire… Les cas ne sont pas rares d’enfermement, de saisie de passeport ou de séquestration.

Véritable trafic de femmes

Aujourd’hui, les contacts sont plus nombreux et on peut parler d’un réseau qui permet d’accéder à l’Europe et à un emploi. Et souvent il s’agit de fait d’un trafic de femmes, car les restrictions aux frontières génèrent des paiements pour les «services». Et les situations sont multiples qui nécessitent un payement pour se maintenir dans la précarité. D’abord la personne garante qui permet d’entrer, puis le logement dont la location est surévaluée.


Il y a aussi, pour les femmes seules, les pressions et le harcèlement pour obtenir des services sexuels, de la part des logeurs ou des employeurs. Et dans chaque situation, il n’y a pas de plainte possible, car la menace de dénonciation à la police sonne comme une promesse d’expulsion.


Il y a aussi la difficulté à vivre la rupture du lien avec sa famille, ses enfants. Maintenir le lien par des voyages au pays, ou réussir à faire venir sa famille, un cruel dilemme.


La question de la santé est aussi une préoccupation majeure, dans une situation extrêmement précaire. L’assurance contre la maladie est économiquement insupportable et le prix des soins rend tout traitement inaccessible. Seule une minorité obtient des soins gratuits. La majorité des femmes retournent dans leur pays pour suivre un traitement à un prix qui leur est accessible, ou renoncent à se soigner. Dans ces conditions, leur santé se dégrade d’autant plus.

L’exploitation extrême

Mais surtout, c’est la précarité économique et les bas revenus qui sont les plaies des travailleuses sans statut. Cette dimension d’exploitation extrême renforce le besoin de lutter pour obtenir une reconnaissance et des droits égaux aux autres travailleurs.


Et cette lutte passe par la reconnaissance du travail spécifique des femmes sans statut, dans l’économie domestique en particulier, mais aussi dans les soins apportés aux enfants et aux personnes âgées, toutes tâches qui pallient aux lacunes et aux manques d’une politique – peu – sociale et – très – machiste.


Dans ce contexte, le besoin de mettre ensemble le plus largement les femmes qui subissent ces situations d’exploitation est ressenti comme un enjeu essentiel dans le collectif de travailleuses. Pour partager leur lutte et défendre ensemble leurs droits, pour se protéger du dumping et de l’isolement particulièrement propice aux formes les plus marquées de traitements dégradants. Mais elles attendent aussi une plus grande mobilisation en solidarité de l’ensemble des forces de gauche qui se réclament d’une plus grande justice sociale.


Romain OGUEY LERESCHE et Anita CUENOD