La Marmite

La Marmite : Une nouvelle association de démocratisation de la culture

Université populaire nomade de la culture, La Marmite a été inaugurée le 16 octobre dernier à Genève. Entretien avec Mathieu Menghini, programmateur.

Qu’est-ce que La Marmite?

La Marmite est à la fois un projet d’action culturelle, artistique et citoyenne. En tant que projet d’action culturelle, La Marmite organise des parcours mettant en relation des groupes issus des «classes populaires», des intellectuel·le·s, des médiateurs·trices culturels et sociaux, des lieux de culture ainsi que des productions artistiques (pièces de théâtre, films, spectacles chorégraphiques, performances, concerts, opéra, expositions, etc.).

Comme projet d’action artistique, La Marmite prévoit qu’une œuvre d’art – fruit d’une création partagée entre les participant·e·s et des artistes – cristallise les représentations et les sentiments des groupes sociaux et conclut leur parcours.

Projet d’action citoyenne enfin, La Marmite entend donner de la visibilité aux «sans-part» (Jacques Rancière), de l’audibilité aux «sans voix» (Erri De Luca) et pourvoir à leur inscription sensible dans l’horizon démocratique.

N’y a-t-il pas une concurrence entre ce que font quelques partis politiques, associations (universités populaires, ouvrières, etc.) et les activités de La Marmite?

Le combat contre les inégalités culturelles et pour la reconnaissance de manières alternatives d’habiter le monde est d’une telle ampleur que la démultiplication des initiatives paraît une bonne chose.

Et si la formule de La Marmite semble unique, nous n’agissons pas en vase clos: après trois mois d’existence, près de vingt collaborations avec des associations ou institutions sociales, culturelles ou scientifiques ont été initiées.

Pendant une grande partie du 20e siècle, la «culture populaire» semblait définie et s’opposer à la culture dominante bourgeoise. La Marmite peut-elle recréer cette culture émancipatrice?

Les choses étaient-elles aussi claires que cela au siècle dernier?

En matière culturelle «s’affrontaient» déjà maintes versions du «progressisme». Prenons, par exemple, le cas «soviétique»: on peut – dans les premières années de la Révolution du moins – distinguer quatre orientations culturelles. Première d’entre elles, le Proletkult entendait valoriser et développer la créativité populaire arguant qu’au bouleversement politique qui «avait transmis» le pouvoir au peuple devait succéder un mouvement parallèle dans le champ culturel.

L’avant-gardisme considérait, lui, que dans l’état d’ignorance et de conditionnement où le tsarisme avait tenu les masses, mettre un pinceau dans la paume de chaque prolétaire aboutirait à la prolifération d’un art petit-bourgeois sans valeur. A la révolution politique, clamaient les tenants de cette deuxième orientation, devait s’adjoindre une révolution esthétique.

Pour le troisième courant – le productivisme – c’était la conception même de l’art comme la posture de l’artiste qui devaient être révolutionnées. On suggéra alors aux créateurs d’abandonner leur «chevalet», leur «tour d’ivoire» et de faire du réel la matière même de leur pratique.

On citera, en quatrième lieu, la position qui fut celle, un temps, de Lénine: adepte d’une appropriation critique des classiques (Lénine parlait d’«assimilation critique»), le dirigeant bolchévique se laissa convaincre par son commissaire du peuple à l’Instruction publique, Anatoli Lounatcharski, de tolérer – parallèlement à une action vigoureuse de démocratisation de la Culture – l’épanouissement d’expérimentations formelles audacieuses et variées.

Pour les tenant·e·s des pratiques populaires, la Culture «légitime» est maculée de sang, baignée de larmes, souillée par des siècles d’oppression ; elle reflète les représentations des classes sociales dominantes et doit donc disparaître avec elles. Pour les tenant·e·s du progressisme universaliste, au contraire, l’art est considéré comme un bien de l’humanité qui déborde les miasmes de la guerre sociale et peut contribuer à élever tout un peuple.

Par sa triple ambition, La Marmite croise ces différentes expériences et puise aussi – certes modestement – dans le grand récit des Bourses du Travail et des universités populaires (UP): celles-ci ont eu à définir le savoir qu’il convenait de dispenser, son éventuelle neutralité et les modalités de sa diffusion. La transmission doit être participative et raccordée aux urgences existentielles et citoyennes vécues par le peuple ; nul pédagogue ne tiendra l’apprenant pour un réceptacle vide qu’il s’agirait de remplir simplement ; nulle transmission ne se fera sans interrogation critique des soubassements sociopolitiques du savoir ; elle se gardera des deux écueils du misérabilisme et de la démagogie ; etc.

Mais n’est-ce pas un projet un peu élitiste, comme tend à le démontrer la lecture du site lamarmite.org? Un projet de contre-hégémonie culturelle ne doit-il pas impérativement compter avec la participation de jeunes?

Il ne faut pas confondre notre communication et notre action: lors de nos parcours, la parole s’échange ; elle est largement produite par la situation et ainsi, souhaitons-le, adaptée à elle. Le site permet à des institutions susceptibles de devenir partenaires ou de nous soutenir de connaître, de manière transparente, les constats dont nous partons, nos objectifs et notre méthodologie.

Quant aux jeunes, nous ne les oublions pas ; dès notre première saison, nous nous sommes adressés à des jeunes en situation de décrochages scolaire et social. On retrouve le récit de leur parcours sur le site de La Marmite à l’enseigne du groupe nommé Les Maîtres fous.

Propos recueillis pour notre rédaction par
Juan Tortosa