Inspections du travail

Inspections du travail : il est urgent de ne rien faire!

Le 23 novembre dernier, le Conseil fédéral approuvait un rapport sur la situation des Inspections du travail en lien avec une réduction des coûts de la santé. Au terme de vingt pages relevant les dysfonctionnements actuels d’application de la Loi sur le travail et les améliorations possibles, le rapport en concluait toutefois à l’absence de nécessité d’intervention dans le domaine de l’inspection du travail.


Suva

Le dispositif suisse de protection des travailleurs et des travailleuses

Inabouti sur le plan des solutions, on doit toutefois reconnaître à ce rapport le mérite de résumer exhaustivement le fonctionnement embrouillé du système suisse de protection des salarié·e·s. Réglée selon un double arsenal législatif, cette protection est à la fois inscrite au niveau fédéral dans la Loi sur le travail (LTr) sous l’angle de la «protection de la santé», et dans la Loi sur l’assurance-accident (LAA) pour le volet «protection de la sécurité au travail». La LTr en comprend ainsi une acception plus globale en encadrant la protection générale de la santé, de la personnalité et des dispositions spécifiques pour les jeunes et les femmes enceintes, tandis que la LAA en effectue une approche plus spécifique, axée sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles, comprises comme des maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante à l’exposition à des substances nocives ou à certains travaux dans l’exercice de l’activité professionnelle.

Cet arsenal législatif dual se double d’organes d’exécution et de surveillance séparés, dont les tâches se recoupent parfois, entraînant une complexification des procédures. Ainsi, si l’application de la Loi sur le travail est exécutée par les seules Inspections du travail, la prévention des accident-professionnels au sens de la LAA relève, selon les branches, du contrôle de la SUVA ou des Inspections cantonales, la prévention des maladies professionnelles étant pour sa part du ressort de la SUVA. Pour éviter un travail à double, les cantons, la SUVA et le Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO) exécutent des contrôles combinés de la LTr et de la LAA dans les entreprises qui relèvent de leur domaine de compétence. En cas de violations des prescriptions légales, les organes d’exécution n’ont toutefois pas la possibilité de statuer dans les autres domaines de prévention qui ne relèvent pas de leurs prérogatives. La Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST) s’occupe pour sa part de coordonner les activités de ces différents organes d’exécution en lien avec la «protection de la sécurité au travail».

Des disparités d’exécution entre les Inspections du travail et un chevauchement des compétences

Une partie des dysfonctionnements relevés par le rapport tient de fait au peu de moyens mis à disposition des Inspections du travail pour garantir l’exécution de la LTr ainsi qu’aux fortes disparités existant entre les cantons dans les thématiques prioritaires retenues. Si le financement de l’application de la LAA est assuré par une dotation de 6,5 % de la prime nette de l’assurance–accident professionnel, soit un montant d’environ 120 millions de francs par année, les contributions permettant l’exécution de la LTr relèvent quant à elle de budgets nationaux et cantonaux issus de l’impôt, pour un total variant entre 21 et 26 millions de francs par an. Un ratio dont le déséquilibre est d’autant plus incompréhensible dans une optique de réduction des coûts que les risques d’accidents et maladies professionnelles ont diminué de manière continue, comme le relève le rapport, alors que les maladies liées au travail sont en progression.

En 2003, le SECO relevait ainsi dans une étude sur les coûts dûs au stress que ceux-ci portaient une incidence à hauteur de 4,2 milliards de francs pour la population active une fois pris en compte les frais médicaux, les absences au travail et pertes de production engendrées.

A cela s’ajoute des problèmes de chevauchement des compétences qui découlent logiquement de l’enchevêtrement décrit précédemment. La distinction entre mesures de protection de la santé au sens de la LTr et prévention des maladies professionnelles au sens de la LAA est souvent subtile, pour ne pas dire floue. La catégorisation de ces deux champs d’intervention est en effet découpée selon des valeurs limites, peu définies dans certains domaines (l’ergonomie notamment), et pour l’examen desquelles les cantons ne disposent ni des instruments de mesures nécessaires, ni d’un personnel suffisamment qualifié, faute de moyens.

La nécessité d’un financement accru

Face à ces constats, le rapport relève que certains moyens ont été mis en œuvre. Une coordination intercantonales des Inspections du travail a été instaurée sous l’égide du SECO afin de tenter une uniformisation des pratiques. Le SECO a également définit des opérations d’exécution prioritaires dans le but de lisser les disparités existant entre les thématiques d’action retenues par les différentes Inspections cantonales et de les mettre en adéquation avec les facteurs principaux de risque relevés par les enquêtes nationales ou internationales.

Malgré les nombreux constats effectués en ce sens, le rapport ne dit toutefois rien de la nécessité de financements accrus pour l’application de la LTr et termine ainsi dans une position schizophrénique qui consiste à égrainer les dysfonctionnements tout en concluant à l’absence de nécessité d’intervention dans le domaine des inspections du travail. Au-delà des problèmes liés à un système dual quelque peu embrouillé, reste en effet la faiblesse des contrôles effectués par les Inspections du travail, lesquelles ne visitent en moyenne que 2 à 3 % des entreprises suisses par année. Un chiffre dérisoire qui ne peut évoluer qu’avec plus de moyens.

Audrey Schmid