Etat espagnol

Etat espagnol : Après le congrès de PODEMOS (Vista Alegre II) - Entretien avec Manuel Gari Ramos

Entretien avec Manuel Gari Ramos

Les 11 et 12 février, s’est tenue à Vista Alegre (Madrid) la 2e assemblée citoyenne (congrès) de Podemos. Pour en analyser la préparation et les résultats, nous nous sommes entretenus avec notre camarade, Manuel Gari Ramos, l’une des huit personnes responsables de la préparation de cette rencontre. Manuel Gari Ramos est membre de Podemos et de l’association Anticapitalistas, qui a soutenu, lors des débats précédant Vista Alegre II, le courant «Podemos en movimiento» [réd.]

Pourquoi Vista Alegre II?

Après la fin du long cycle électoral – scrutins municipaux et régionaux, ainsi que deux élections nationales au parlement espagnol – Podemos avait besoin de tenir une deuxième assemblée citoyenne à l’échelle de l’Etat espagnol. L’hypothèse politique approuvée à Vista Alegre (nom de l’enceinte madrilène où fut tenue la première assemblée citoyenne) ne s’est pas vérifiée dans les faits. On disait alors: il est possible que Podemos gagne les élections nationales et formule un gouvernement impulsant un profond changement social et politique ; raison pour laquelle le parti doit se constituer en une «machine de guerre électorale» hiérarchisée, où la démocratie doit rester subordonnée à l’efficacité. Or, malgré le fait d’avoir obtenu un grand nombre de votes et de sièges, Podemos continue d’être le troisième parti derrière le Parti populaire (PP), de droite, et le parti socialiste. Le modèle organisationnel adopté a généré de nombreuses critiques internes, parce qu’il ne rend pas suffisamment possible le débat et la participation. Et, de plus, les divergences au sein de l’équipe dirigeante se sont multipliées.

On a beaucoup parlé des figures et peu du projet ou des programmes. Quelles étaient les divergences entre Iñigo Errejón et Pablo Iglesias?

Malgré les centaines de pages contenues dans les diverses prises de position politiques et organisationnelles, le débat interne – sur les réseaux sociaux et dans les médias – a été centré et polarisé autour de la direction entre Iñigo Errejón et Pablo Iglesias. On a peu réfléchi sur la situation européenne et espagnole et encore moins sur le projet politique et les principales propositions démocratiques. Lors de la première assemblée à Vista Alegre, il y a moins de trois ans, les deux dirigeants étaient d’accord sur tout. Progressivement, Errejón a commencé à critiquer les déficiences démocratiques internes, que lui-même avait impulsées, et à modérer le discours politique, afin de rechercher le vote des classes moyennes frappées par la crise. Il s’est distancé des alliances avec Izquierda Unida [IU, coalition électorale formée autour du Parti communiste espagnol, après le référendum contre l’entrée de l’Espagne dans l’OTAN] et a proposé que Podemos centre exclusivement son activité sur le travail institutionnel. De son côté, Iglesias a commencé à critiquer le poids excessif de l’appareil professionnel créé par Errejón et il a orienté son discours vers la gauche, en cherchant une plus grande relation avec les secteurs les plus plébéiens de la société et des classes travailleuses et il a adopté une orientation d’affrontement verbal plus dur avec l’oligarchie.

Bien que ni l’un ni l’autre n’aient formalisé une stratégie ou un projet, les deux continuent d’avoir une orientation populiste, non-­socialiste, et ils peuvent arriver dans l’avenir à de nouveaux accords politiques. Car comme l’a dit quelqu’un à Vista Alegre II, en 2017, «le discours populiste de Errejón a gagné, mais c’est Iglesias qui le gérera…».

Quel bilan fais-tu de Vista Alegre II et quels sont les défis qu’affronte Podemos?

Mon bilan est très critique. Prenons l’aspect positif: le parti ne s’est pas scindé – une chose qui semblait pouvoir arriver, un mois auparavant, vu le degré d’affrontement. Mais le déficit d’une définition stratégique et programmatique n’a pas été résolu. Iglesias s’est renforcé comme dirigeant et le grand perdant est Errejón. Les défis découlent de la situation antérieure. Podemos doit démontrer son utilité pour organiser un bloc politique et social qui affronte le PP dans les institutions et dans la rue, qui ait la capacité future de former un gouvernement au service d’une majorité sociale, prêt à appliquer son programme de changement face aux pressions de l’oligarchie. Podemos doit apprendre à fonctionner démocratiquement en acceptant qu’il existe en son sein une pluralité d’opinions qui doivent être intégrées d’une manière normale.

Quel bilan fais-tu comme membre d’Anticapitalistas?

Ça s’est très bien passé pour nous. De secteur « maudit » qu’on n’a pas pu expulser, nous sommes devenus une troisième option avec une grande répercussion dans les médias. Ce qui est plus important, Anticapitalistas est apparu à l’ensemble des militant·e·s comme la force qui a un projet politique et programmatique et une grande capacité pour tenir des réunions et des assemblées sur tout le territoire, avec une audience importante. Dans l’assemblée, nos propositions sur l’écologie, l’enseignement ou autour des luttes ouvrières furent appuyées massivement. Le secteur des militant·e·s présent·e·s à la réunion, 7000 personnes, a appuyé par ses applaudissements les discours de nos camarades Teresa Rodríguez [membre de Anticapitalistas, est la dirigeante de Podemos en Andalousie] et Miguel Urbán [membre de Anticapitalistas, est député européen de Podemos et membre du Conseil citoyen de Podemos depuis Vista Alegre II]. Notre candidature a obtenu plus de 20 000 votes, soit l’appui de 13,5% des suffrages. Un chiffre important si l’on tient compte de la différence existante quant aux ressources financières, à l’apparition dans les médias et à l’« appareil » de professionnels.

Propos recueillis pour solidaritéS par

Juan Tortosa

Traduction de l’espagnol: Hans-Peter Renk