Israël

Israël : «Une période de transition du régime politique»

Entretien avec Michel Warschawski, militant anticolonialiste, cofondateur du Centre d’information alternative basé à Jérusalem et Beit Sahour. Extraits de l’interview publiée en janvier sur le site europe-solidaire.org (Europe Solidaire Sans Frontières) réalisée par Alain Pojolat et Alain Krivine avec une nouvelle question par Tobia Schnebli.

Netanyahou est en passe d’être inculpé pour « abus de confiance » dans l’affaire des « cadeaux illégaux » (plusieurs dizaines de milliers d’euros) qu’il aurait perçus de la part d’hommes d’affaire. Comment réagit l’opinion publique?

Il y a d’une part celles et ceux qui sont choqués – mais pas surpris – par le degré de corruption de la classe politique, en particulier de l’entourage du Premier ministre, et, d’autre part, une majorité de la population qui voit dans ces affaires une volonté de délégitimation, par celles et ceux qu’ils·elles appellent « les élites », d’un gouvernement élu par le peuple, contre la volonté de ces élites. Les médias, la justice, et dans une certaine mesure la police, sont, pour l’électorat de l’extrême droite, les expressions de ces élites, et c’est la raison de la décision de la ministre de la Justice Ayelet Shaked de réformer en profondeur le système juridique de sorte à ce qu’il «reflète davantage la volonté de la majorité»

Il n’est pas exagéré d’affirmer que nous sommes dans une période de transition du régime politique, au détriment à la fois des règles d’un régime parlementaire, et des libertés publiques, en commençant par celles de la minorité palestinienne d’Israël et de ses élu·e·s.

Depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, le gouvernement a approuvé la construction de plus de 6000 nouveaux logements dans les colonies, la Knesset a adopté une loi qui légalise le vol de terres palestiniennes et Trump affirme que la solution des deux Etats n’est plus qu’une option parmi d’autres.

Comment les milieux dominants israéliens pensent « gérer » la question palestinienne?

La stratégie israélienne a toujours été de jouer la montre et de gagner un maximum de temps pour poursuivre la politique de colonisation, c’est à dire d’extension progressive des frontières. Le concept de « provisoire » est au cœur de cette stratégie. En l’occurrence, le provisoire dure depuis bientôt cinquante ans: ni annexion formelle, ni restitution aux Palestinien·ne·s, en créant un système d’apartheid qui peut cacher son nom par le fait qu’il est « provisoire ». L’autonomie aux Palestinien·ne·s de Cisjordanie – qu’ils·elles peuvent appeler « Etat Palestinien » s’ils le désirent – est un moyen de maintenir le contrôle sur le territoire, ses ressources et ses frontières, sans avoir à gérer (et à financer) la population.

Quand Donald Trump affirme (contre l’avis du Secrétariat d’Etat) qu’il n’est pas forcement pour une solution à deux Etats, il joue le jeu de Natanyahou… à court terme. Quant au long terme, qui peut dire de quoi sa politique sera faite? Netanyahou ferait bien d’envisager des scenarii où le couple Trump-­Putine lui impose une solution, dans le cadre d’un accord global au Moyen Orient.

Les difficultés intérieures et le contexte diplomatique compliqué pour Israël ne donnent-ils pas une nouvelle opportunité à la campagne BDS? Au-delà, quelles perspectives cela peut-il ouvrir pour la solidarité avec la Palestine?

Le problème le plus important que pose la diplomatie internationale concernant la question coloniale en Palestine, n’est pas tant dans les prises de position – la résolution du Conseil de sécurité du mois de décembre le confirme – que dans le refus de traduire ces résolutions par des moyens de pression efficaces. La communauté internationale laisse Israël dans un statut d’impunité pour ses crimes. C’est dans ce contexte que se situe l’importance capitale de la campagne BDS: s’il y avait S, c’est-à-dire des sanctions internationales comme celles contre l’Apartheid en Afrique du Sud ou contre la répression des libertés démocratiques en Chine – nul n’aurait besoin de B (boycott) ou de D (désinvestissement), et notre bataille pour les droits des Palestinien·ne·s serait proche d’être gagnée.

C’est la lâcheté de cette communauté internationale, et souvent même sa collusion avec le régime colonial israélien, qui exige la mobilisation active des sociétés, à travers la campagne BDS. Et cette dernière a fait, en une décennie, des pas considérables: du boycott des oranges « Jaffa » au désinvestissement d’Orange dans ses contrats avec son ancien partenaire israélien, ou la rupture du partenariat entre la compagnie des eaux hollandaise et Mekorot, la compagnie des eaux israélienne.

Les pressions populaires sur les gouvernements pour que ceux-ci prennent des initiatives diplomatiques fortes, sont importantes, même si celles-ci ne dépassent pas encore le cadre déclamatoire. Mais pour faire plier Israël, il en faudra beaucoup plus, à savoir la mise en œuvre de sanctions concrètes, dans le domaine économique et commercial, mais aussi culturel, universitaire et sportif. C’est là aussi une leçon de l’expérience du peuple sud-africain.

Pour conclure, je voudrais insister sur la nécessité de redonner, notamment en Europe, un coup de fouet au mouvement de solidarité avec la Palestine. L’écroulement, programmé par les néoconservateurs de l’ordre Sykes-Picot au Moyen-Orient, a créé un vide que remplissent les nouveaux barbares que représente Daech. Cette réalité régionale a pour effet la marginalisation de la question palestinienne. Elle reste pourtant la clef si ce n’est de la réalité politique régionale, du moins de son éventuelle solution progressiste. Si on ne peut ni ne doit réduire les problèmes du monde, que ce soit à Alep ou à Bruxelles, à la seule question palestinienne, il reste néanmoins que celle-ci reste un abcès purulent qui, s’il n’est pas résorbé, continuera à alimenter non seulement les combats pour la justice, mais aussi leurs dérives terroristes barbares.