Moonlight, un film à la croisée de nos luttes

Tout aussi magistral sur le plan esthétique que puissant sur le plan politique, le magnifique film de Barry Jenkins offre un regard dénué de tout cliché sur la vie d’un noir non-hétérosexuel et son parcours de vie dans un ghetto de Miami.

Encensé par la critique, Moonlight a également été la sensation des derniers Oscars, en remportant trois statuettes dont celle du Meilleur Film.

Séquencé en trois actes avec une temporalité éclatée, le film se focalise sur la brutale trajectoire de vie du personnage de Chiron. On y découvre son enfance précaire avec sa mère toxicomane, sa pré-­adolescence avec son harcèlement scolaire en parallèle avec sa première histoire d’amour et finalement ses tourments de gangster dans sa vie adulte dans le quartier de Liberty City, à Miami. Le film dévoile ainsi le destin sans étoile d’un personnage qui va devoir lutter contre des multiples oppressions: pauvreté, homophobie ou violence et harcèlement scolaire. Ces dernières sont développées, avec l’histoire de Chiron ou celles des personnes secondaires du film, sans pour autant tomber dans le piège du stéréotype. En effet, tous les personnages du film sont représentés à travers des caractères et des trajectoires de vie contrastées qui bousculent nos propres préjugés tout au long du film.

Après deux éditions d’Oscar marquées par des grosses polémiques sur l’absence d’acteurs·trices «racisé·e·s» parmi la liste des nommés ou des scandaleux cas de Whitewashing, (quand des acteurs·trices blanc·he·s sont engagés pour jouer des personnages non-blancs), un film comme Moonlight était plus que nécessaire au vu d’un climat politique actuel effrayant. Le film est en effet adapté d’une pièce écrite par un homme Noir, réalisé par un homme Noir et superbement interprété par un casting entièrement Noir.

Son triomphe aux Oscars est dans ce sens également une victoire politique pour les personnes «racisées» et LGBTIQ dans un pays qui vient d’élire un certain Donald Trump. Moonlight offre, en effet, une voix à la minorité de la communauté masculine, queer et Noire qui est constamment ostracisé des œuvres cinématographique mainstream. Il y apporte un puissant acte de rébellion en questionnant l’hyper-masculinité et l’hétéronormativité des hommes noirs. Le film se refuse également à définir une quelconque étiquette sur la sexualité de son principal protagoniste. Apportant ainsi le puissant message que chaque individu devrait pouvoir être libre d’être soi, d’avoir sa sexualité ou ses attirances sans pour autant se ranger dans les cases que la société veut bien nous donner.

Le film nous rappelle également que tout comme le personnage de Chiron, que nous nous retrouvons la plupart du temps seul face aux oppressions de notre société, et que cet isolement renforce encore plus la violence de ces dernières. Difficile en effet de regarder le film, sans ressentir un profond désir de nous solidariser avec Chiron qui lutte du mieux qu’il peut pour s’extraire de la pauvreté et assumer sa propre sexualité. Vingt ans après le film La Haine de Matthieu Kassovitz, Moonlight sera sans aucun doute un film rempart, et une œuvre décisive pour solidariser tout un pays face à la xénophobie, l’homophobie et sexisme du début de l’ère Trump. Vous avez dit: Black movies matter ?

Jorge Lemos