Turquie
Turquie : La résistance continue malgré un oui illégitime
Le Conseil électoral supérieur turc (YSK) a annoncé la victoire du oui au référendum à 51,4% des suffrages contre 48,4% pour le non. Cette acceptation à une très courte majorité cache un échec du gouvernement de l’AKP qui attendait un plébiscite populaire beaucoup plus important.
Dans trois des plus grandes villes du pays le non s’est imposés, totalisant 51,3% des voix à Istanbul, 51,1% à Ankara et près de 69% à Izmir. Le oui au référendum l’a en revanche emporté avec une augmentation des suffrages de 2,5% dans l’Anatolie profonde par rapport aux élections du 1er novembre 2015. Une baisse de soutien importante est enregistrée dans la région fortement peuplée de Marmara. Les zones du Kurdistan Turc se sont quant à elles très majoritairement prononcées contre le référendum.
Un référendum sur fond de répression
Toutes les ressources répressives et financières de l’Etat ont été employées pour que l’acceptation du référendum s’impose dans les urnes. C’est dans un climat autoritaire et répressif que s’est déroulée la campagne, avec des attaques constantes contre les partisans du Non. La répression a été particulièrement féroce et dévastatrice contre le HDP et les populations kurdes.
Depuis plus de dix-huit mois, près de 500 000 personnes ont été déplacées en raison de la destruction de leurs villes par l’armée turque. Treize députés du HDP, dont ses co-président·e·s, sont toujours en prison. La quasi totalité des municipalités détenues par le parti frère du HDP dans le Kurdistan turc (le DBP) a été mise sous tutelle et la plupart de leurs maires emprisonnés. La guerre contre les Kurdes ne s’arrête d’ailleurs pas aux frontières de la Turquie, mais s’étend également à la Syrie et même à l’Iraq. Dans la nuit du 24 au 25 avril, l’aviation turque a ainsi bombardé des positions du PKK syrien, le PYD, dans le nord-est de la Syrie et dans la région du Sinjar en Iraq.
Une procédure de vote entachée d’irrégularités
Selon un rapport de Unity for Democracy, une organisation affiliée à l’opposition, les émissions de télévision diffusées en direct entre le 1er et le 20 mars ont consacré aux partisans du oui un temps d’antenne nettement plus important, laissant 169 heures à Erdogan, plus de 300 heures au parti AKP et 15 heures au parti fascisant du MHP. De l’autre côté, les heures d’antenne des opposant·e·s étaient de 45,5 heures pour le CHP, tandis que le HDP en a tout simplement été privé.
De nombreuses irrégularités dans la procédure de vote ont aussi pu être constatées. Le Conseil électoral supérieur turc a annoncé, le jour même du référendum, que les bulletins ne comportant pas le tampon officiel du bureau de vote seraient tout de même validés. L’opposition s’est insurgée contre cette décision et le CHP et le HDP ont d’ailleurs exigé le recomptage d’environ 60% des bulletins. Des centaines d’observateurs venus pour contrôler le bon déroulement de la procédure ont également été empêchés de surveiller le vote, et des milliers de Kurdes déplacés par les combats dans le sud-est de la Turquie n’ont probablement pas pu voter parce qu’ils n’avaient pas d’adresse. Des mesures d’intimidation ont également été perpétrées dans les zones à majorité kurde par la gendarmerie et les militaires.
Des manifestations spontanées ont rassemblé plusieurs milliers de personnes dans les rues des quartiers « oppositionnels » d’Istanbul, d’Ankara et d’Izmir dans la nuit du 16 au 17 avril. Formées pour dénoncer l’illégitimité de ce résultat, les manifestations se sont poursuivies toute la semaine dans certains quartiers des grandes villes.
Les luttes populaires pour la démocratie, la justice sociale et la paix sont donc toujours d’actualité en Turquie contre le gouvernement autoritaire de l’AKP. La faiblesse du score obtenu par le référendum, malgré les moyens mis en œuvre par le régime, démontre une crise de légitimité sans précédent.
Joseph Daher