Une chronique du racisme et du harcèlement universitaires

L’association féministe universitaire de Lausanne, accompagnée d’étudiant·e·s et d’autres membres de la communauté universitaire, se sont opposés à la tenue du bal annuel organisé par le comité de la faculté des Hautes Etudes Commerciales (HEC). Celui-ci a choisi cette année de s’approprier et d’exotiser des éléments d’un peuple en lutte pour fêter la fin de l’année académique.

Extrait de la vidéo de promotion du bal HEC 2017.

«  Le Bal HEC vous transporte en plein cœur de l’Afrique, sur le territoire d’une des tribus les plus emblématiques du continent, dans la réserve nationale du Masaï Mara au Kenya. […] De ce paysage ocre les Massaïs ont fait leur terre, régnant au fil des siècles au rythme d’une culture fascinante. […] Le Montreux Palace sera hôte d’une Afrique indigène aux couleurs de braise […]. Revêtez vos plus belles parures et venez clôturer cette année en beauté […]! Safari njema! Bon voyage! »

C’est ainsi que le comité HEC annonce le thème du bal qu’il organise chaque année, et qui réunit en général plus d’un millier de personnes. Pour la modique somme de 50 francs, les étudiant.e.s auront le loisir de s’offrir une ‘aventure africaine’ et de trinquer en l’honneur d’un peuple dont leurs confrères s’approprient les ressources et les terres.

Dès que le thème du bal a été rendu public, plusieurs personnes et collectifs (notamment le Collectif Afro-Swiss) ont tenté – en vain – de faire entendre la critique de la dimension raciste et néocoloniale de l’évènement. Face à l’absence de réaction du comité, l’association féministe universitaire (AFU), ainsi que plusieurs personnes indignées par le thème de ce bal, ont décidé de lancer une campagne sur Facebook. Nous avons ainsi posté différents slogans sur la page de l’AFU, dans le but d’interpeller les organisateurs·trices et participant·e·s du bal, comme: «Vos fantasmes d’exotisme ne justifient pas l’instrumentalisation d’une culture dominée. Vous êtes racistes» ou encore «Les Maasaï se font exproprier leurs terres et leurs ressources depuis des décennies. Pensez-y quand vous vous définissez comme des ‹guerriers Maasai› dans un luxueux palace».

Si l’objectif de cette campagne était de faire entendre les critiques portées à la démarche du comité HEC, nous ne nous attendions pas pour autant à de telles réactions de haine: en quelques heures, des milliers de commentaires, de messages ou de mails, dont certains d’une violence extrême, ont été envoyés. Sur Facebook, on a ainsi pu lire: «on la viole et on la donne à manger aux chiens», «je m’en vais fouetter mon esclave et je reviens», «prochaine fois, petite soirée holocauste histoire de faire le buzz! », «on laisse les femmes gérer une association et voilà ce que ça donne», «y a des biffles qui se perdent».

Par ailleurs, le harcèlement a également continué pendant plusieurs jours sur l’application Jodel, qui permet de poster des messages anonymes. Finalement, la polémique a dépassé le cadre universitaire, notamment lorsqu’un article sur le sujet a été posté (et âprement discuté) sur un site d’extrême-droite.

L’AFU à l’affût!

La violence des messages témoigne de la nécessité de l’existence d’une association féministe combattive sur le campus de l’université. Contre l’idée selon laquelle les universités seraient des espaces de liberté intellectuelle et d’ouverture d’esprit exempts de dominations, nous cherchons d’une part à rendre ces rapports de domination visibles, d’autre part à construire un espace de lutte et de solidarité. Nous avons ainsi vocation à rendre l’espace universitaire plus juste et moins oppressif. Réagir à des évènements organisés par des membres de la communauté universitaire s’inscrit dans cette démarche.

A ce titre, notre mobilisation aura finalement porté ses fruits, du moins en partie: nous avons rencontré le comité HEC. Ce dernier s’est engagé à reverser une partie des sommes récoltées à une association luttant pour la protection de la culture Maasaï, à mettre en place une exposition concernant les enjeux du néocolonialisme auxquels le peuple Maasaï est confronté, et à s’assurer qu’aucun costume jugé dégradant ne soit admis à la soirée. Ainsi, si nous n’avons pas réussi à obtenir que le thème de la soirée soit changé, les différentes associations étudiantes devront à l’avenir être attentives aux problématiques d’appropriation culturelle et d’exotisation lorsqu’elles organisent des soirées.

Aussi, face à l’argument selon lequel nous ne comprendrions pas la volonté du comité et des participant·e·s d’honorer la culture et le peuple Maasaï, j’aimerais conclure sur ces mots de Frantz Fanon, qui, en 1956 déjà, avait bien identifié le rapport de pouvoir et la déshumanisation qui sous-tend toute démarche de ce genre. Dans Racisme et culture, il écrivait: «le souci constamment affirmé de ‹respecter la culture› des populations autochtones ne signifie […] pas la prise en considération des valeurs portées par la culture, incarnée par des hommes. Bien plutôt, on devine, dans cette démarche, une volonté d’objectiver, d’encapsuler, d’emprisonner, d’enkyster […]. L’exotisme est une des formes de cette simplification. […] Il y a d’une part une culture à qui l’on reconnaît des qualités de dynamisme, d’épanouissement, de profondeur. Une culture en mouvement, en perpétuel renouvellement. En face, on trouve des caractéristiques, des curiosités, des choses […].»

Anouk Essyad