Crise entre les monarchies réactionnaires du Golfe

Le 4 juin, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabe Unis, l’Egypte et Bahreïn ont rompu leurs relations avec l’émirat du Qatar. En cause, les liens qu’entretient Doha avec «des organisations terroristes et des groupes confessionnels cherchant à déstabiliser la région, parmi eux les Frères musulmans, l’Etats Islamique, et al-Qaïda», sans oublier le maintien des relations avec la République Islamique d’Iran.

L’émir du Qatar (3e depuis la gauche) lors de la visite de Donald Trump au Conseil de coopération du Golfe persique, Riyad, mai 2017

Cette crise intervient une semaine après la vive polémique suscitée par l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, qui aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran et aurait pris la défense du Hezbollah et des Frères musulmans, tous deux considérés comme des groupes terroristes par Riyad. M. Al-Thani a assuré que son pays avait les moyens de tenir «éternellement» malgré les sévères restrictions aériennes et maritimes imposées par ses voisins et la fermeture par l’Arabie saoudite de sa seule frontière terrestre, par laquelle transite 40 % de son approvisionnement alimentaire.

L’Iran a fait savoir qu’il était prêt à approvisionner le Qatar par bateau (une traversée de 12 heures dans les eaux du Golfe), tandis que la Turquie a accéléré l’envoi de troupes militaires prévues depuis longtemps dans l’émirat. Le Qatar cherche néanmoins à trouver des soutiens internationaux pour rompre son isolement et a appelé à «un dialogue ouvert et honnête» avec l’Arabie Saoudite pour sortir de cette crise.

Cette crise provoque l’embarras de nombreux pays étrangers, à commencer par les Etats-Unis, malgré ce que pourraient laisser penser les déclarations du président Trump soutenant le blocus au début de la crise. Le Qatar héberge en effet la plus grande base aérienne américaine dans la région, installation cruciale pour le combat de la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre le groupe Etat Islamique (EI) en Syrie et en Irak. Ainsi, des efforts diplomatiques, impliquant Washington, Paris et le Koweït, se sont intensifiés pour contenir la crise dans le Golfe.

Alliances divergentes

Gonflés par la visite de Donald Trump il y a peu à Riyad, les Saoudiens en profitent pour faire le ménage au sein de leur camp. Mauvais élève, le Qatar a toujours poursuivi sa propre politique régionale, agaçant son grand voisin depuis longtemps. Mais les stratégies politiques différentes, dans le cadre des processus révolutionnaires de la région débutés entre 2010 et 2011, entre l’Arabie Saoudite et ses alliés d’un côté et le Qatar de l’autre, ont progressivement fait exploser ces tensions. L’Arabie Saoudite et ses alliés ont généralement soutenu les anciens régimes contre toute forme de protestation, à l’exception de la Lybie et de la Syrie. De son côté, le Qatar a soutenu les Frères Musulmans et d’autres mouvements fondamentalistes islamiques opposés aux anciens régimes, à l’exception du cas de Bahreïn, où le Qatar s’était opposé, comme le reste des monarchies, à la révolte populaire.

Une première crise avait déjà éclaté en 2014, avec le retrait des ambassadeurs de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis et de Bahreïn au Qatar, sous le prétexte que Doha menaçait la sécurité régionale par son soutien aux Frères Musulmans. La crise s’était résolue par un accord, le Qatar ayant formulé plusieurs promesses, en particulier l’arrêt du soutien au mouvement des Frères Musulmans et l’expulsion d’un certain nombre de ses membres de l’émirat. Ces promesses n’ayant pas été tenues, l’Arabie Saoudite et ses alliés exigent aujourd’hui un engagement politique du Qatar incluant le respect de ces engagements, ainsi qu’une «feuille de route» avec des «mécanismes clairs» de mise en œuvre.

Une crise entre Etats réactionnaires

Dans cette crise politique entre Etats réactionnaires, il convient de dénoncer l’opportunisme politique et les mensonges de l’Arabie Saoudite et de ses alliés dans leurs campagnes d’isolement et de pressions contre le Qatar. Ces Etats sont des dictatures qui répriment toute forme d’opposition. L’idéologie réactionnaire wahabite est promue par le royaume saoudien à travers le monde, inspirant des groupes jihadistes et salafistes. Pour autant, cette réalité ne doit pas nous mener à une forme d’idéalisation ou d’angélisme envers le Qatar, qui est également une dictature réactionnaire.

Malgré ces divergences politiques, toutes ces dictatures ont un programme contre-révolutionnaire commun, qui se concrétise par leurs soutiens aux anciens régimes et/ou à des forces islamiques fondamentalistes. Toutes ces monarchies sont en opposition totale avec les objectifs des soulèvements populaires pour la démocratie, la justice sociale et l’égalité. Ryad et Doha soutiennent tous deux des politiques impérialistes, néolibérales et autoritaires, et traitent la grande majorité de leurs salarié·e·s comme des esclaves, en particulier les étrangers·ères. Ils propagent également un discours confessionnel rivalisant de haine, tout en promouvant une vision rétrograde de la société et des droits des femmes.

Face à cette crise entre Etats réactionnaires, souhaitons la chute de leurs élites et la libération des peuples de la région.

Joseph Daher