Elections en Grande-Bretagne
Elections en Grande-Bretagne : Mayday! - Tories naufragés cherchent bouée
Tories naufragés cherchent bouée
Ce 8 juin, les conservateurs ont dévissé. Perdant 13 sièges aux Communes, à 318 sièges il leur manque 8 voix pour atteindre la majorité de 326 sièges qu’il faut pour gouverner.
Candidat·e·s du Democratic unionist party (DUP), de droite radicale, sectaire et pro-britannique
Avec 42,4% des votes, ils dépassent le Labour, mais celui-ci a connu une progression sans précédent depuis 1945, emportant 262 sièges. Un gain de 30 sièges avec 40 % des voix, une remontée de 10 % des voix, 1/3 de plus qu’aux élections de 2015.
Après le scrutin, leur progression dans l’opinion s’est poursuivie ; on les donne désormais à 5 points devant les conservateurs. Un succès «inconcevable» il y a quelques temps pour une droite qui prétendait Corbyn «inéligible» vu son «extrémisme» de gauche. Or son succès dépasse le compte des sièges: le Labour a décroché des circonscriptions où il n’avait jamais eu d’élu… et des conservateurs vissés à des sièges «sûrs» ont vu leurs majorités réduites à presque rien et tremblent pour leur avenir.
Un vieux «gauchiste» porté par les jeunes au seuil du 10 Downing Street
Le vote des jeunes pour le Labour et Corbyn a été décisif, en lien avec les engagements travaillistes sur l’éducation et les taxes d’études. Leur participation a explosé. Selon un sondage, celle des moins de 35 ans a grimpé de 10 %, les 2/3 d’entre eux votant Labour. Un autre institut dit que la participation de 18 à 24 ans a frisé le taux inouï de 72 %, alors qu’elle fut de 43 % en 2015!
Les nationalistes réactionnaires d’UKIP ont été balayés perdant 10,8 % de voix et leur siège unique pour ne garder que 1,8 % des suffrages, alors que les Verts conservent leur siège. Les libéraux-démocrates centristes (partenaires échaudés de la dernière coalition avec les Tories) reculent de 0,5 % mais gagnent 4 sièges. En Ecosse, les conservateurs parviennet à gagner 13 sièges, le Labour en prend 6 et les Lib-dem 2. Cela fait 21 sièges perdus pour les nationalistes du SNP qui avaient raflé quasi tous les sièges du pays en 2015 (56 sur 59). Le SNP reste ainsi premier parti d’Ecosse, mais, affaibli, il rengaine son 2e référendum sur l’indépendance.
L’Irlande du Nord élisant 18 député·e·s à Londres a vu un vote polarisé. Le Sinn Fein de gauche nationaliste passe de 4 à 7 élus et le Democratic unionist party (DUP), de droite radicale, sectaire, pro-britannique passe de 8 à 10 élus. Les centristes, soit les unionistes historiques (– 2 sièges) et le parti social-démocrate nationaliste, (SDLP, modéré) (– 3) sont évincés. Notons que Sinn Fein n’occupera jamais ses 7 sièges à Westminster, siéger au parlement anglais étant inconcevable pour ses membres.
Une morte politique aux manettes
Le vainqueur incontesté de cette élection est le chef travailliste de gauche, Jeremy Corbyn, 68 ans, aux vieilles idées «socialistes», dont le parti a progressé massivement. May avait pourtant décidé d’élections anticipées pour profiter du fort écart dans les sondages avec le Labour et de l’impopularité supposée de Corbyn, en butte aux quolibets médiatiques, à la rébellion de la droite de son parti, de l’appareil, de ses élus, qui lui font tous des yeux doux à présent.
La campagne de May a été axée sur son leadership fort, qui s’est révélé chancelant, et sur le renforcement de sa majorité pour viser un accord de Brexit «avantageux» ou rompre avec l’UE sans accord. Elle a échoué!
Il y a 15 jours, nous disions la fin possible de May en juin. Pour l’heure, elle s’accroche aux affaires tel un zombie, le scrutin lui ayant porté un coup fatal. Elle survit, nul ne voulant la direction d’un parti en état post-apocalyptique. May a attaqué Corbyn pour ses positions passées sur l’IRA, ex-bras armé du Sinn Fein, mais se retrouve à acheter les 10 voix du DUP Nord-Irlandais en vue de votes pouvant faire choir le gouvernement minoritaire qu’elle veut installer.
Or le DUP, outre ses liens avec des groupes paramilitaires détestables du camp «loyaliste», est ultraréactionnaire sur les questions de société: climato-sceptique, homophobe, anti-avortement, hostile à l’égalité homme-femme, créationniste… Mais il a une base dans la classe ouvrière protestante et ne marche pas forcément dans les politiques d’austérité. Par ailleurs, s’il a été pour le Brexit, c’est contre l’avis d’une majorité dans les 11 comtés du Nord de l’Irlande annexés au Royaume-Uni et il est assez malin pour refuser une frontière «dure» avec la République (et l’UE), qui renforcerait les partisans de la réunification du pays. Le Brexit radical de May est ainsi compromis.
Un max de cash pour l’Irlande du Nord?
Ce que le DUP négociera, ce n’est ni des ministères, ni l’implémentation de ses fantasmes ultraréacs en Angleterre, mais du cash en quantité au service d’une politique d’investissements clientélaires dans les infrastructures d’Irlande du Nord. Ce qui suscitera des revendications analogues au Pays de Galle et en Ecosse.
Les maquignons du DUP font durer les négociations au moment où nous écrivons, ceci 3 jours après qu’elles aient été données comme conclues par May. On parle d’un report du «discours-programme» du gouvernement devant être prononcé aux Chambres ce 19 juin par la nonagénaire régnante, ceci sans parler d’un report probable des négociations avec l’UE sur le Brexit!
John Major, ancien Premier conservateur, un artisan du «processus de paix» en Irlande du Nord, met d’ailleurs en garde contre l’accord avec le DUP, qui décrédibilise le statut censément neutre du gouvernement britannique en «Ulster» à teneur de l’accord de paix.
Quoiqu’il en soit, le DUP n’apportera à May qu’une majorité de 2 voix sur 650, à la merci de toute défection. Et des raisons de défection il y en a, dans un parti divisé comme jamais. Ainsi, le gouvernement May, en sursis, peut tomber demain ou se crasher avant Noël et débouchera sur un gouvernement Corbyn minoritaire, d’entente avec d’autres dont en premier lieu le SNP écossais, ou sur de nouvelles élections avec une majorité travailliste possible à la clé. Le Labour a gagné 350 000 membres ces 5 derniers jours. A suivre…
Pierre Vanek