Grande-Bretagne

Grande-Bretagne : La crise politique s'approfondit

Depuis le Brexit voté mi-2016 à une majorité de 51,9 %, la Grande-Bretagne vit une crise politique. La sortie de l’UE est pour le 29 mars, mais rien n’est certain.


Mobilisation antifasciste et antixénophobe à Londres, 17 novembre

Le gouvernement minoritaire de May, appuyé sur un petit groupe réactionnaire d’Irlande du Nord (DUP), a vu ses ministres claquer la porte en série. Il y a une semaine, des député·e·s conservateurs·trices ont obtenu un vote de défiance interne pour démettre May: un bon tiers des voix (117 contre 200) a exigé son départ.

May devait soumettre aux Communes le 12 décembre son deal négocié avec l’UE sur les modalités de sortie. Vendu comme seule issue par le gouvernement, il n’a pas été mis au vote, les pronostics étant qu’il lui manquerait 100 voix. Il est conspué par les partisan·e·s d’un Brexit dur et sans concessions sur l’Irlande comme par celles et ceux désirant un nouveau vote pour rester dans l’UE.

Coup de sac… mais lequel?

May, dans un rôle de Thatcher de pacotille, a alors voulu arracher des « concessions » à Bruxelles, reprenant l’avion pour le Continent où on lui a dit qu’un accord négocié en 18 mois ne pouvait être modifié d’un coup de sac à main.

Depuis, c’est la valse d’hypothèses sur la sortie de crise, dont un vrai vote de défiance du parlement avec élections à la clé, scénario favori de la direction du Labour. Mais aucune majorité n’y est acquise, le DUP soutenant May malgré son hostilité aux garanties quant au refus d’une frontière « dure » en Irlande. Corbyn et son état-major refusent de forcer un vote dont l’échec serait un succès pour May et pousserait vers un référendum bis.

Or le Labour est divisé: un secteur important de sa base – notamment chez les jeunes ayant été moteurs du virage Corbyn – refuse ce Brexit imposé lors d’un vote sans contenu concret via des financements occultes et un discours xénophobe. Mais d’autres milieux de gauche et syndicaux voient la sortie de l’UE comme la rupture avec l’Europe du Capital et ses règles contraires à la politique social-démocrate renouvelée qu’ils espèrent.

Élections ou référendum bis?

Ainsi, les travaillistes privilégient des élections qui les mettraient aux manettes pour renégocier un « meilleur » deal que celui de May. En attendant, elles·ils déçoivent les partisan·e·s d’un référendum bis pour un vote « en connaissance de cause ». L’idée de « redonner la parole au peuple » est vue par certain·e·s, y compris à gauche, comme antidémocratique. On ne connaît enfin pas la teneur d’un tel vote: annulation du Brexit, que le Royaume-Uni peut décider seul selon la Cour européenne, paquet négocié par May, ou autre formule?

Et paradoxalement, le parti de Corbyn se voyait rejoint ces jours dans les sondages par un parti conservateur, remonté à 38% des intentions de vote contre 39% au Labour. May joue la montre, annonçant que le vote sur son accord de sortie aura lieu après le 14 janvier. Pendant ce temps, l’horloge tourne et, sans solution dans les prochaines semaines, le Royaume-Uni pourrait se retrouver brutalement hors de l’UE, sans accord aucun, avec des conséquences économiques, légales et politiques incertaines. Le gouvernement fait d’ailleurs souffler un vent de panique à ce sujet parlant de mobiliser l’armée…

L’idée d’une majorité d’union nationale aux Communes pour «sauver le pays» est avancée. Et pendant que ce théâtre accapare parlement et médias, les ravages de l’austérité continuent pour les plus précaires.

Pour une montée en puissance de la résistance sociale…

Les divisions concernant la voie à prendre traversent la gauche radicale où l’on trouve des tenant·e·s d’une sortie à tout prix de l’UE, comme des adeptes d’une large union pour y rester. Chacun·e plaide que l’issue qu’il·elle refuse coulerait la perspective de rompre avec l’austérité pour mener une autre politique. On s’accorde bien sûr sur la nécessité d’une montée du mouvement social et syndical… mais dans un contexte où le théâtre parlementaire occupe tant l’opinion, ce n’est pas évident.

Pierre Vanek


Un royaume… uni?

L’État lui-même, ce prétendu royaume « uni » est fracturé.

Les partisan·e·s de l’indépendance de l’Écosse qui a refusé le Brexit à 62% réfléchissent aux cartes à jouer. Quant aux six comtés de l’Irlande « du Nord », les électeurs·trices y ont voté non au Brexit à 56% et l’unité irlandaise se rapproche. Car la frontière artificielle en Irlande a été imposée en 1921 par l’Empire, au prix d’une guerre civile qui a déchiré les Irlandais·es. Pour créer un État colonial croupion et antidémocratique, fondé sur la discrimination anticatholique et la brutalité paramilitaire. La frontière a été affaiblie depuis 20 ans par l’accord soldant le conflit ouvert au nord de l’Irlande et par la « normalisation » liée à l’UE des deux côtés.

Or l’UE a obtenu de May la garantie qu’aucune frontière « dure » ne serait réintroduite en Irlande… ce qui signifie la « vraie » frontière de l’UE et de l’Irlande avec la Grande Bretagne pourrait être repoussée en Mer d’Irlande et que les six comtés resteront alignés sur diverses règles européennes en vigueur en Irlande. Dans cette situation, c’est vers le parlement irlandais et non vers Westminster – boycotté d’ailleurs par Sinn Féin – que les citoyen·ne·s pourraient se tourner. D’autant que des votes récents, sur le mariage gay comme sur l’avortement, ont montré que le temps d’une Irlande régentée par une Église catholique réactionnaire est passé.

PV