Brexit

Brexit : Nuit profonde sur Westminster

La crise politique du Brexit accélère et révèle la désintégration du système politique britannique. Un théâtre guignol crépusculaire dont Teresa May est le personnage principal a pour scène le bâtiment de Westminister, qui fut le cœur d’un empire planétaire sur lequel le soleil ne se couchait jamais et dont les exactions et les crimes sont gravés dans le sang et la chair de peuples du monde entier…


Samedi 23 mars, autour d’un million de personnes ont manifesté à Londres pour la tenue d’un nouveau référendum.

Mais aujourd’hui c’est à Westminster que c’est la nuit. Trois fois, Teresa May est venue devant le parlement pour lui vendre l’accord de sortie de l’UE qu’elle a négocié. Trois fois, il a été repoussé à une majorité, hétéroclite mais écrasante. Elle avait juré que le 29 mars elle conduirait son pays hors de l’UE, le 1er avril il en était toujours membre…

Avant le dernier des trois votes sur le plan de sortie de l’UE de May. Les parlementaires britanniques ont tenté de reprendre la main: quatre options ont été soumises à la Chambre des communes… une union douanière avec l’UE, un accord de type «Espace Economique Européen» dit Marché commun 2.0, la soumission de l’accord final à un référendum, la possibilité pour le parlement de révoquer ou retarder la sortie de l’UE… Aucune proposition n’a passé le cap de la majorité.

Un naufrage du parti conservateur

Et l’horloge tourne. Par défaut, la Grande Bretagne cessera d’être membre de l’UE le 12 avril. C’est la sortie-catastrophe, sans accord, aux conséquences économiques et sociales que personne ne mesure vraiment, que le parlement a refusé et qui a mobilisé pour s’y opposer une manifestation pour un nouveau référendum (People’s Vote) qui a vu environ un million de personnes battre le pavé londonien il y a deux semaines. Si May peut présenter à Bruxelles un plan de sortie plausible la semaine prochaine, l’UE pourra lui accorder une extension de délai au 22 mai… sinon, c’est la porte tout de suite ou une extension «longue», qui obligerait la Grande-Bretagne a participer aux élections européennes fin mai.

Le dos au mur, May vient de déclarer au moment où nous bouclons notre journal, après une réunion de 7 heures de temps de son cabinet explosé, qu’elle allait s’entretenir sans conditions avec Jeremy Corbyn pour chercher avec le Labour une majorité d’union nationale, qui aboutirait sans doute à une sortie plus soft de l’UE qu’envisagé jusqu’ici et qui peut aussi être un piège pour partager en last minute les responsabilités des dégâts que May et son parti ont causés.

Les secteurs les plus réactionnaires du parti conservateur, comme les ultras unionistes d’Irlande du Nord (DUP) qui ont soutenu jusqu’ici le gouvernement minoritaire de May, s’étranglent de colère à ce qu’on offre les clés de la situation au «marxiste» Corbyn… Le parti conservateur est très profondément divisé: le secteur qui a vendu, à coup de populisme impérial réchauffé, la chimère d’une Grande Betagne métamorphosable en méga-Singapour offshore est largement en déroute, les grandes entreprises et la majorité de la bourgeoisie, partisans d’un accord avec et d’une participation la plus forte possible à l’Europe néolibérale et capitaliste, qui est l’aspect dominant de l’UE, vont sans doute reprendre la main…

Quelques constats…

La Grande Bretagne souffre d’un déficit démocratique massif, avec un système électoral périmé, une constitution informelle et non transparente, des relations problématiques entre l’Angleterre, l’Ecosse et le Pays de Galles, sans parler du reliquat colonial des 6 comtés d’Irlande du Nord où l’assemblée régionale est suspendue depuis plus de deux ans, ni de l’absence de culture politique démocratique en matière de référendums…

La gauche et la gauche radicale britannique sont très divisés dans leur appréciation de la situation: la manifestation populaire massive pour un deuxième vote populaire est diversement interprétée comme un sursaut démocratique salutaire par les uns, comme élan populiste, un danger pour la démocratie et une porte ouverte à l’extrême droite pour les autres…

Corbyn et la gauche travailliste ont fait et font de l’équilibrisme obligé sur le Brexit, entre un secteur de leur base qui a voté oui au Brexit, comme vote protestataire contre une Europe du Capital néolibérale et un secteur de leur base dans cette jeunesse, qui a massivement soutenu un Corbyn plutôt souverainiste, mais qui voit dans l’ouverture européenne, la libre circulation des personnes, etc. un clou dans le cœur du vampire impérial dont la droite ultra-réactionnaire et raciste prône la résurrection…

Mais ces questions occultent le problème de fond d’une explosion des inégalités et des effets mortels d’une austérité qui crucifie la majorité des salarié·e·s et les milieux populaires depuis bien trop longtemps. On ne peut que souhaiter que la crise politique débouche – et vite – sur une élection rapide qui balaie l’héritage thatchéro-blairien et qui donne au peuple britannique l’oxygène dont il a besoin pour affirmer dans la rue et dans les urnes ses exigences et ses droits.

Nous avons besoin quant à nous d’échanger avec nos camarades britannniques, comme avec ceux des autres Etats européens, sur les enseignements de leur situation et de leurs luttes pour dégager à terme des horizons communs. De ce point de vue, nous avons, à solidaritéS, des responsabilités et des efforts à faire.

Pierre Vanek