Incendies au Portugal

Incendies au Portugal : Le cocktail mortel

Le gigantesque incendie qui a dévasté le Portugal à la mi-juin a entraîné la mort de 64 personnes. Il est emblématique d’une combinaison de trois facteurs qui se reproduira certainement dans le pays: les effets du réchauffement climatique, ceux de l’austérité et des politiques de libéralisation ainsi que la recherche du profit à court terme.


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Canicules et vagues de chaleur se sont durablement installées dans la péninsule ibérique. Au Portugal, durant la période 1981–2000, le nombre de jours où les températures excédaient 35° C était de 72 en moyenne. Pendant les années 2001 à 2016, ce chiffre est passé à 158 jours. Cette puissante augmentation est due au réchauffement climatique; elle fait non seulement souffrir les humains, mais aussi les sols et les végétaux. Elle impliquerait des politiques publiques de prévention de ses conséquences et d’anticipation de ses risques. Or c’est exactement l’inverse qui s’est passé.

La malédiction de l’eucalyptus

Pour les amateurs de dive bouteille et les forestiers, le Portugal fut longtemps le pays par excellence du chêne-liège et des bouchons que l’on en tirait. Mais l’arbre, qui résiste bien au feu, est de croissance lente et ne peut être exploité qu’au bout de plusieurs années. La myriade de petits propriétaires de la forêt portugaise (on les estime à 400000) n’ont pas la patience ni la volonté écologique de le faire. Les châtaigniers non plus n’ont plus la cote. Un marché bien plus intéressant leur tend les bras, celui du bois pour la fabrication de la pâte à papier, avec son essence reine: l’eucalyptus. Croissance rapide et entretien ramené au minimum, c’est tout bénéfice.

A l’autre bout de la chaîne de la pâte à papier, un géant industriel portugais, l’ancienne entreprise nationalisée Portucel-Soporcel, aujourd’hui Navigator du nom de son produit phare, le papier à imprimer de haute qualité en ramette. 90% de sa production est exportée. A elle seule, l’entreprise représente 3% des exportations portugaises. Avec un chiffre d’affaires dépassant le milliard et demi d’euros, elle contribue à hauteur de 1% au Produit national brut. C’est dire si les pressions qu’elle peut exercer sur les gouvernements sont fortes, lorsque ceux-ci font mine de réglementer quelque peu le désastre forestier. Car l’eucalyptus possède un défaut rédhibitoire sous ce climat: il s’enflamme et brûle comme une torche alimentée par son huile, celle qui dans d’autres circonstances libère vos voies respiratoires. Le bon sens voudrait donc que l’on fasse reculer les plantations d’eucalyptus au profit d’espèces plus résistantes au feu et, dans l’immédiat, que l’on débroussaille les forêts. Mais le bon sens ne fait pas bon ménage avec l’austérité et le néolibéralisme.

Cadastre, forestiers, services publics: balivernes que tout cela!

Depuis plus de vingt ans, on évoque la possibilité de disposer enfin d’un véritable cadastre centralisé du domaine forestier portugais, car celui-ci n’existe pas. On ne sait donc pas qui sont les véritables propriétaires – quand il y en a encore – des forêts. Un tiers des propriétaires ne sont donc pas identifiés. Difficile, dans ces conditions, de faire appliquer la loi qui prévoit le nettoyage des sous-bois avant la période d’alerte (de juin à fin septembre). Le coût d’un tel cadastre, estimé à 700 millions d’euros, n’a évidemment rien pour plaire à ceux qui depuis la crise de 2008 ont mis le pays au régime de l’austérité la plus sévère.

La Troïka, qui poursuit son œuvre salvatrice en Grèce, n’a évidemment pas manqué de laisser sa trace dans la politique forestière portugaise. Sous son impulsion, les services de gestion et de protection des forêts ont été démantelés et libéralisés. La monoculture de l’eucalyptus a été favorisée par des lois qui permettaient aux propriétaires des parcelles de moins de deux hectares d’investir dans cette essence avec une simple déclaration préalable. Par coupes successives, les effectifs des gardes forestiers sont passés de 1200 à 317 en 2016, selon les calculs de Francisco Louçã du Bloc de gauche.

Le «combat» plutôt que la prévention

L’actuel Premier ministre socialiste, Antonio Costa, était ministre de l’Intérieur du gouvernement de José Socrates lorsqu’il pilota une adaptation du Plan national de défense de la forêt contre les incendies en 2007. Ambitieuse, la première version élaborée par des experts demandait un «changement de paradigme», fondé sur la constatation évidente que la meilleure manière de combattre un feu de forêt est d’empêcher qu’il se produise. La version révisée «mieux adaptée à la réalité institutionnelle que nous connaissons», selon les dires du ministre, soit plus respectueuse des pouvoirs en place, a détricoté la cohérence du premier projet et donné la priorité à la lutte contre le feu, plutôt qu’à la prévention.

Ce choix est aujourd’hui qualifié de «grave erreur» dans une thèse universitaire défendue par Ascenso Simoes, à l’époque secrétaire d’Etat d’Antonio Costa au ministère de l’Intérieur… Il a débouché sur l’achat de moyens aériens de lutte, dont les célèbres 6 hélicoptères bombardiers d’eau russes Kamov Ka-32. Célèbres à cause de la polémique née de leur faible disponibilité opérationnelle et de leurs frais de maintenance élevés. Mauvais choix, mauvais outils: la politique gouvernementale n’a fait qu’accroître le potentiel de risque.

Daniel Süri