Phytosanitaires dans l'agriculture

Phytosanitaires dans l'agriculture : La fable d'une utilisation durable

Fin juin, l’Union suisse des paysans (USP) a apporté son soutien au plan d’action pour les produits phytosanitaires concocté par le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche. Jacques Bourgeois, directeur de l’USP, a savamment déclaré «Il est facile de s’indigner, autrement plus difficile de poser les bons jalons». Ce mélange de développement durable et de recours aux pesticides a fait réagir Paul Sautebin, agriculteur à La Ferrière, avec lequel nous nous sommes entretenus.


Kevin Wood

L’«optimisation de la protection phytosanitaire» revendiquée par l’USP ne t’a pas vraiment convaincu. Pourquoi?

Parce que tout simplement, toute la chimie de l’industrie agricole finit quelque part. Glyphosates, fongicides, pesticides se retrouvent dans l’eau, le sol, dans le monde animal ou végétal. C’est un constat quotidien dans les exploitations agricoles et une donnée que connaissent très bien ceux qui les fabriquent. L’agriculture paysanne que je défends doit apprendre à s’en passer.

Par respect pour la nature?

Pas seulement. C’est aussi un choix de souveraineté alimentaire. Non pas à l’égard du marché mondial des produits agricoles, mais face à l’industrie agroalimentaire. Pour les paysans, la question posée est: voulons-nous vraiment tourner le dos à la société et faire chambre commune avec l’agro-industrie? C’est ce que propose l’Union suisse des paysans, qui, en plus, réduit la question de la production de l’agriculture biologique à une banale affaire de marché. Jacques Bourgeois déclarait ainsi dans l’hebdomadaire professionnel Agri du 23 juin: «Si toute l’agriculture se met au bio, cela créera un déséquilibre entre l’offre et la demande».

On voit bien où vont les priorités de l’USP: sauver les marchés libéralisés plutôt que protéger la nature, l’agriculture et finalement les êtres humains. C’est le consommateur sur le marché qui serait l’élément déterminant. Pour moi, c’est le citoyen dans une société démocratique qui définit les contours de l’agriculture sur le territoire de cette société. Contrairement à ce qu’explique l’USP, qui prétend que le consommateur dicte l’emploi de phytosanitaires à l’agriculture, parce qu’il veut manger des fruits et légumes parfaits d’apparence, c’est bien le marché qui impose sa loi. Comment expliquer autrement le fait que mille paysans mettent la clé sous le paillasson chaque année? Parce qu’ils sont paresseux?

Les prétendus choix du consommateur n’expliquent pas plus l’emploi des phytosanitaires que cette supposée paresse n’explique le démantèlement de la paysannerie. Ce sont bien les diktats de la concurrence, des normes de l’Organisation mondiale du commerce et du bilatéralisme qui fonctionnent à plein.

Pourtant, Jacques Bourgeois explique que les consommateurs ne veulent plus de pommes tavelées…

Le marketing de la grande distribution joue avec l’apparence des fruits et légumes, qui sont devenus de purs objets industriels. Ils sont façonnés par lui, au même titre que les marchés agricoles définissent ce que doit être le paysan.

A ton avis, il n’y a pas de possibilité d’une utilisation sinon durable, du moins responsable de ces produits?

Si l’on veut aborder le problème en termes de responsabilité, alors il faut poser la question de la responsabilité envers la société, la nature et les producteurs. C’est cela le bon critère. Les luttes démocratiques ont permis de se débarrasser de l’absolutisme et de la tyrannie, il faut de même se débarrasser de la tyrannie du déterminisme néolibéral. Le néolibéralisme détruit toute relation de confiance, toutes les règles du vivre ensemble. Il faut tout remettre à plat, y compris l’esprit de la démocratie.

Il n’y a pas d’issue pour l’agriculture dans un enfermement corporatiste modelé par le néolibéralisme. Ni d’ailleurs pour la société, de manière générale. Une véritable refonte, radicale est nécessaire.

Prenons l’exemple de la surproduction de lait. Elle est endémique, provoque une baisse du prix du lait, assassine des exploitations et taraude les producteurs. Une politique agricole qui coûte des milliards au contribuable permet ainsi d’attiser les lois du marché afin de faire disparaître la paysannerie, que l’on remplacera par des mégafermes, nuisibles à tous les niveaux. On le voit déjà avec le développement des fermes-usines en Allemagne, modèle célébré par tout le gratin néolibéral.

Il aurait été réjouissant de voir les organisations paysannes proposer une refonte d’une fédération des producteurs de lait pour maîtriser l’offre face au marché et introduire en aval de l’industrie de transformation une forme de planification de la production, à travers des quantités définies contractuellement. Ce qui permettrait en retour aux paysans une gestion prévisionnelle de leur cheptel.

Propos recueillis par Daniel Süri


Produits phytosanitaires

On en compte des centaines que l’on regroupe souvent en fonction des cibles de ces produits utilisés pour protéger et quelquefois soigner les végétaux. Ainsi les acaricides s’en prennent aux acariens (oeufs ou larves), les algicides aux algues, les fongicides aux champignons, les molluscicides aux mollusques et les rode0nticides aux rongeurs. Une faible partie des produits phytosanitaires est absorbée par les plantes et le reste est stocké dans le sol où il y aura une dégradation plus ou moins longue en divers produits plus ou moins inoffensifs. Les pluies peuvent aussi provoquer la migration de ces produits dans les cours d’eau ou les nappes phréatiques. Le terme de pesticide recouvre une réalité plus large, puisqu’il peut aussi concerner des produits vétérinaires ou visant la conservation des bois ou la lutte domestique contre les mites ou les poux. DS