Le droit à l'autodétermination n'est pas négociable
Assemblea.cat
Aujourd’hui en Europe, ce soi-disant «phare de la démocratie», le droit à l’autodétermination est violement nié au peuple Catalan. L’Etat espagnol a fait usage de matraques et de balles en caoutchouc pour réduire au silence les 2 044 000 voix en faveur de l’indépendance catalane. La démocratie est bafouée, sous le regard indifférent de l’Union européenne. Les gouvernements européens tendent même la main à Madrid. Ils s’abritent derrière la prétendue inconstitutionnalité du référendum, ou soutiennent que les Catalan·e·s ne forment pas un peuple. Pire, quand on pense aux conditions de répression dans lesquelles le référendum s’est déroulé, ils invoquent la participation, évaluée à 42,3 %, trop faible pour que le résultat puisse être considéré comme représentatif.
Faut-il rappeler que l’Etat espagnol est dirigé par le gouvernement de Mariano Rajoy, le moins légitime depuis 1978? Que les Constitutions de certains Etats, dont l’Espagne, sont le résultat de négociations avec des monarques, des dictateurs et des généraux afin de garantir une transition qui n’entamerait pas trop leur pouvoir? Où trouvent-ils la légitimité pour nier aux Catalan·e·s le droit de s’autodéterminer? En réalité, il s’agit d’un choix politique de la part des Etats européens, sans rapport avec des considérations démocratiques: soutenir sans ambiguïté un Etat membre, même s’il ne respecte pas les droits fondamentaux de ses citoyens, afin de garantir la stabilité européenne.
L’Etat espagnol n’a pas hésité à sortir de son placard le roi Felipe VI, ni à affréter des bus pour les participant·e·s à la manifestation contre l’indépendance, le 8 octobre à Barcelone. Des centaines de nostalgiques du franquisme ont pu défiler sous le drapeau national, emblème de la monarchie et du franquisme, mais aussi sous la bannière de la Phalange espagnole, le bras et la main tendus. L’Union européenne, en se taisant, cautionne silencieusement.
Ce que le pouvoir espagnol aimerait surtout faire oublier, c’est que les Catalan·e·s l’ont vaincu le 1er octobre. Malgré le déploiement de la garde civile et une violence terrifiante, au soir du 1er octobre, Rajoy avait perdu la confrontation. Le masque démocratique est brutalement tombé, laissant apparaître la figure grimaçante du spectre de Franco, mais aussi de l’acharnement que le dictateur avait mis à abattre la résistance de la Catalogne et de ses bastions militants. La riposte de la Catalogne a été ferme: Catalan·e·s de tous âges ont livré une bataille mémorable pour protéger les bureaux de vote et revendiquer leur droit de décider. Rajoy se ridiculise en affirmant qu’aucun référendum n’a eu lieu: pourquoi réprimer une procédure si elle ne possède pas de base légale?
Deux jours plus tard, l’appel à la grève des syndicats les plus radicaux, suivis par les grandes centrales syndicales la UGT et la CCOO, a transféré la bataille sur un autre terrain. Et c’est sur ce terrain que le mouvement doit amener le débat, afin non seulement de conquérir l’indépendance, mais aussi d’assurer un débouché social à cette indépendance.
Carles Puigdemont, le président catalan, cherche des alliés pour garantir la stabilité. Le 10 octobre, il a repoussé la déclaration d’indépendance afin de négocier la procédure avec le gouvernement espagnol. Mais celles et ceux d’en bas, responsables de la victoire du référendum, parce qu’ils et elles ont su dépasser des dirigeants comme Puigdemont qui leur imposaient des limites, n’ont aucun intérêt à le suivre. Les comités d’en bas, créés dans les lieux de travail, les quartiers et les universités pour organiser et défendre le référendum, sont des noyaux qui doivent continuer à exister et à lutter pour déterminer l’issue et le caractère de l’indépendance.
En même temps, la solidarité avec le droit à l’indépendance catalane, qu’elle s’exprime au sein des frontières de l’Etat espagnol ou en dehors, est cruciale. Il est urgent de relier ce combat aux luttes contre le gouvernement Rajoy, ses politiques néolibérales et ses mesures d’austérité. La responsabilité qui incombe à la gauche espagnole et européenne est historique.
La Suisse peut très bien offrir ses bons offices, mais tant que le désir d’indépendance de la Catalogne n’est pas entendu, l’invitation est hypocrite. Notre soutien au peuple catalan et aux Catalan·e·s qui habitent en Suisse doit être intransigeant.
La lutte pour une réelle indépendance s’annonce longue. Elle va ouvrir un champ de bataille où la gauche catalane et espagnole pourra jouer un rôle déterminant, avec un double objectif dans les semaines et mois à venir. D’un côté, les luttes sociales doivent se renforcer contre un gouvernement affaibli et déstabilisé. De l’autre, celles et ceux d’en bas devront définir l’avenir de la Catalogne, quelle que soit la forme que son indépendance va prendre.
Dimitris Daskalakis