Accident ferroviaire de Granges-Marnand

Accident ferroviaire de Granges-Marnand : Les CFF ont leur responsabilité dans le drame

Le procès du conducteur de train à l’origine de la collision ferroviaire du 29 juillet 2013 à Granges-Marnand s’est conclu par sa condamnation à 90 jours-amende avec sursis. Le syndicat du personnel des transports (SEV) estime que le mécanicien n’aurait pas dû être seul sur le banc des accusés. Il a certes grillé un feu rouge mais, en raison de mesures d’économie et de lacunes sécuritaires, le management des CFF a sa part de responsabilité dans ce drame.

La Cour correctionnelle de la Broye et du Nord vaudois a rendu son verdict le 31 octobre. Le conducteur de train a été condamné à 90 jours-amende à 60 francs avec deux ans de sursis. Estimant que la culpabilité du conducteur était «contrastée», la Cour l’a reconnu coupable d’homicide par négligence. Lors de la lecture du jugement à Yverdon-les-Bains, le Président a estimé que certains éléments étaient à sa décharge. Parmi ceux-ci: un horaire de service qui n’indiquait plus de croisement, le double contrôle qui avait été supprimé ou encore le stress que subissent les mécanicien·ne·s.

La collision frontale avait provoqué la mort d’un jeune conducteur de train et blessé 26 personnes, dont six gravement. Durant le procès, le prévenu était seul sur le banc des accusés, le parquet ayant exclu une responsabilité pénale de l’ex-­régie. S’il va de soi que le mécano a fait une erreur, le SEV considère que les CFF portent leur part de responsabilité. Divers éléments, dont certains restés dans l’ombre, montrent que ce sont les mesures d’économie de l’ex-régie qui ont rendu possible cette catastrophe.

Trapézistes sans filet

Durant son audition le 24 octobre, le mécanicien a fustigé les «démantèlements» opérés par son employeur en matière de sécurité depuis le début des années 2000. Alors que par le passé trois hommes jouaient un rôle dans le démarrage du train, les CFF ont progressivement supprimé les contrôleurs et retiré la tâche de donner l’ordre de départ au chef de gare. Le SEV dénonce aussi depuis longtemps cette «déshumanisation des trains et des gares». Si cette politique permet aux CFF d’économiser, cela surcharge le·la mécanicien·ne qui fait ainsi désormais seul le travail effectué auparavant par trois personnes.

Supprimer le double, voire le triple contrôle, c’est supprimer tout ce qui protégeait les mécanicien·ne·s. «On en a fait des trapézistes sans filet» tonne Jean-Pierre Etique, responsable du dossier au SEV. Pour des raisons d’économie, les CFF ont joué avec la sécurité. Après le drame, ils ont du reste réintroduit le double contrôle dans plusieurs gares dont Granges-Marnand. Par ailleurs, les informations lacunaires transmises aux mécanos ne leur permettent plus, comme avant, d’anticiper les croisements de convois au moment de prendre leur service.

Sérieuses lacunes sécuritaires

Pour les gares particulièrement vétustes comme celle de Granges-Marnand, le principe de précaution aurait dû prévaloir. Située sur une ligne secondaire, la gare n’était pas équipée d’un système de contrôle de la marche des trains. Si elle l’avait été, une alarme se serait immédiatement déclenchée au moment du redémarrage de la locomotive. Ce ne sera le cas qu’en avril 2014. La première cause de l’accident pointée par le rapport final du Service d’enquête suisse sur les accidents (SESA) est justement «l’absence d’équipements de sécurité modernes […] dans une gare de croisement […] où le double contrôle de départ du train n’est plus pratiqué. »

Les CFF auraient donc dû maintenir l’obligation au chef de circulation de donner son autorisation au départ des convois. Cela ne s’est pas fait en raison de la division entre services qui aurait contraint la division Voyageur à payer ces prestations à la division Infrastructure. Il y avait bien un chef de gare présent sur place mais ce n’était pas son rôle.

Ce drame aurait pu être évité

Ce qui est terrible dans cette affaire, c’est que le chef de circulation aurait eu la possibilité de couper la ligne, mais il ne pouvait pas le savoir. Pour lui, «les touches de déclenchement» étaient «désactivées». En cause, selon le SESA, le «processus en vigueur qui occulte totalement la possibilité de déclencher la ligne de contact». Il n’avait dès lors que deux options qui, prenant trop de temps, n’auraient pu empêcher l’accident. Comme l’indique le SESA dans son rapport, lors de contrôles effectués après l’accident en août, il s’est avéré que «les touches étaient encore actives». Il est apparu «un manque de systématique dans la procédure de déclenchement d’urgence des lignes de contact» et «un manque d’information entre les services» concernés. En résumé, avec des instructions claires et une formation adéquate données par l’employeur concernant le déclenchement d’urgence, ce drame aurait pu être évité.

Preuve en est qu’une nouvelle procédure a pu empêcher une nouvelle collision le 16 septembre 2013, au même endroit et dans les mêmes circonstances, deux mois après la collision ferroviaire mortelle. Le chef de circulation avait alors pu procéder au déclenchement d’urgence de la ligne de contact évitant ainsi une autre catastrophe.

Dire que les CFF n’ont aucune responsabilité dans le drame de juillet 2013 semble donc un peu rapide. Ils y ont leur part. La sécurité et la vie des mécanicien·ne·s et des passagers·ères doivent figurer en première place des priorités de l’ex-régie. Les économies ne doivent jamais aller jusqu’à les mettre en danger.

Yves Sancey

Article paru dans Contact.sev du 9 novembre et publié ici dans une version raccourcie.