La baisse du taux d'imposition des grandes entreprises maintenue coûte que coûte

Malgré l’échec de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE3) sur le plan fédéral en février dernier, les autorités vaudoises à majorité PS/Verts ont confirmé leur intention de mettre en œuvre en 2019 un allégement massif de l’imposition du bénéfice des grandes entreprises (de 21 % à 13,8 % net).

Cette annonce constitue une double entorse en regard des promesses faites par les autorités lors de la votation sur la baisse du taux d’imposition, en mars 2016. D’une part, parce que sont tombées à l’eau les compensations financières aux cantons prévues par la Confédération dans le cadre de la RIE3 ; or, les autorités vaudoises comptaient sur celles-ci pour réduire les pertes de recettes au plan cantonal et communal. D’autre part, parce que la principale justification invoquée pour la baisse du taux d’imposition – soit la fin des statuts spéciaux pour les multinationales – n’interviendra pas en 2019, vu l’échec de la RIE3 fédérale.

Compte tenu de ces derniers éléments, les pertes fiscales supplémentaires par rapport à celles annoncées en 2016 par le Conseil d’Etat s’élèveront, dès 2019, à environ 135 millions par an pour le canton et environ 50 millions pour les communes. Les pertes globales dépasseront donc 350 millions par an pour le canton et 150 millions pour les communes. Pour donner un ordre de grandeur, 350 millions représentent plus du tiers du budget cantonal pour l’école obligatoire (950 millions).

Les autorités vaudoises présentent les pertes supplémentaires comme temporaires (2019 et 2020), jusqu’à l’entrée en vigueur, au plan fédéral, de la RIE3 bis, rebaptisée PF17. Pourtant, PF17 est loin d’être adopté, le projet étant contesté aussi bien par la gauche et les syndicats que par des représentant·e·s du petit patronat. Comme le constatait avec inquiétude le journal de la droite libérale alémanique NZZ le 8 novembre dernier: «la nouvelle réforme fiscale pourrait à nouveau échouer.» Les pertes fiscales supplémentaires risquent donc d’être plus durables qu’annoncé.

Austérité en vue

Dans tous les cas, les déficits pour le canton et les communes seront plus élevés que prévu, ouvrant la voie à des plans d’austérité, à l’image de ce que subit la population lucernoise: dans ce canton, les autorités ont baissé le taux d’imposition sur bénéfice à 12,4 %, puis ont décidé des coupes dans les écoles publiques, les subsides aux primes d’assurance maladie, etc.

Dans le cas vaudois, l’augmentation des subsides aux primes maladie a été présentée par les dirigeant·e·s du PS et des Verts comme la principale contrepartie à la baisse du taux d’imposition du bénéfice, justifiant leur soutien à celle-ci. Or, les promesses de la droite d’augmenter les subsides, formulées au moment de la votation de 2016, pourraient bien être mises en cause dans un contexte de déficits budgétaires: sans même attendre que les finances cantonales basculent dans le rouge, le PLR vient ainsi de déposer une motion au Grand Conseil demandant une réduction des subsides pour les salarié·e·s à temps partiel, alors même que la loi exclut déjà l’octroi de subsides à «toute personne disposant de ressources financières insuffisantes en raison d’un choix délibéré de sa part.»

De manière plus générale, les déficits dans les finances cantonales et celles de certaines communes entraveront le développement du service public, alors que celui-ci souffre déjà de sous-dotation chronique. Les exemples ne manquent pas, comme l’illustrent le retard dans l’examen des demandes de bourses d’études, les temps d’attente élevés dans les services d’urgence des hôpitaux, la pénurie de places en crèche ou le manque de moyens pour l’enseignement spécialisé et l’école inclusive. De plus, la baisse du taux d’imposition vaudois intensifie la sous-enchère fiscale à l’échelle suisse et internationale, contribuant à l’entreprise néolibérale de démantèlement de l’Etat social et du service public.

Nous appelons donc les autorités à geler la baisse du taux d’imposition en l’absence de cadre fédéral et à fixer, à terme, un taux fiscalement neutre, soit qui n’entraîne pas de baisses de recettes pour les collectivités publiques une fois acquise la suppression des statuts spéciaux pour les multinationales.

Hadrien Buclin