Loi sur le travail

Loi sur le travail : Un pas en avant ou deux en arrière?

Le droit public du travail est très lacunaire en Suisse et appliqué de façon plus que tolérante. Dans pratiquement chaque entreprise, on trouve des violations plus ou moins grandes de la loi sur le travail (LT). Le besoin d’amélioration est évident. C’est pourtant un démantèlement qui est réclamé par les organisations patronales et la droite parlementaire.

La LT compte 75 articles définissant les règles et 150 traitant des exceptions: pas étonnant que son application soit incertaine. Elle joue cependant un rôle indispensable. Le capitalisme est fondé sur l’exploitation de la force de travail et l’absence de règles protectrices débouche inéluctablement sur les pires abus. Les actuelles turbulences autour des dispositions sur le temps de travail reflètent les intérêts contradictoires des employeurs·euses et des salarié·e·s: ce que les un·e·s gagnent, les autres le perdent.

Des parlementaires agressifs

Le 6 décembre sera votée au Conseil des Etats la motion Portmann, déjà adoptée par le Conseil national. Elle veut permettre de déroger à l’obligation d’enregistrer le temps de travail par le biais du partenariat social. Cette motion sera probablement rejetée, car la base légale est insuffisante. Mais elle sert de marchepied aux initiatives parlementaires Keller-Sutter et Graber (voir solidaritéS nº 303 et 308).

Ces initiatives sont dévastatrices: suppression de la saisie du temps de travail pour les salarié·e·s «exerçant une fonction dirigeante et pour les spécialistes», suppression de pratiquement toutes les dispositions sur la durée du travail, sur le travail de nuit et du dimanche pour ces mêmes catégories. Pour certaines branches économiques ou catégories d’entreprises (à définir par ordonnance bien sûr), annualisation pure et simple du temps de travail. Dans la foulée, la motion Dobler veut permettre aux start-up de «convenir d’un horaire fondé sur la confiance sans obligation de saisie du temps de travail». Présentées comme de «modestes adaptations de la loi à la réalité», ces propositions font un travail de sape visant à supprimer toute obligation d’enregistrer le temps de travail.

Un catalogue patronal gratiné

Le 7 novembre, l’organisation patronale USAM a présenté ses exigences pour réduire «les surréglementations inutiles en porte-à-faux avec la réalité du monde moderne du travail». La durée maximale de la semaine de travail doit être portée à 50 heures, le repos quotidien doit être réduit de 11 à 8 heures deux fois par semaine sans compensation. Les salarié·e·s de l’hôtellerie-restauration doivent «pouvoir travailler» sept jours consécutifs. Les «branches intéressées» pourraient déroger aux dispositions légales sur les pauses.

Alain Berset avait convoqué les baby-boomers pour justifier sa réforme des retraites, à son tour l’USAM les utilise pour augmenter la durée du travail: «Avec la vague de départs à la retraite des baby-boomers, le nombre de personnes qui quitteront le marché du travail au cours des prochaines années sera supérieur à celui des personnes qui y entreront». En fait d’adaptation au monde moderne, c’est un formidable pas en arrière qu’exige l’USAM.

Trois améliorations nécessaires

La LT actuelle comporte deux durées maximales de la semaine de travail: 45 et 50 heures. Dans les années 60, lors des débats au parlement, la discussion a porté sur 45 ou 46 heures pour les entreprises soumises à l’ancienne loi sur les fabriques. De façon transitoire, une durée de 50 heures a été prévue pour permettre à celles qui n’étaient pas soumises à la loi sur les fabriques de s’adapter. 50 ans plus tard, on doit admettre que la période d’adaptation est terminée et que la durée maximale de la semaine de travail est de 45 heures.

Il s’agit également de définir la durée maximale du travail quotidien. Elle n’existe pas dans la loi actuelle et ne se devine qu’en soustrayant les pauses obligatoires de l’espace de 14 heures dans lequel le travail doit s’effectuer. On arrive à une journée de travail qui dépasse 12 heures! Le minimum qu’une révision de la LT doit proposer, c’est une durée quotidienne maximale de 10 heures.

Ce que les patrons présentent comme «nécessaire adaptation de la loi à la réalité» recouvre en fait des violations systématiques de la loi, au détriment des salarié·e·s. Il y a là une énorme lacune à combler: renforcer les organes d’application et de contrôle, appliquer de façon sérieuse les dispositions sur le temps de travail.

Pierre-André Charrière


Un salaire minimum de misère

Dans le cadre de la mise en application de l’initiative populaire cantonale acceptée en votation en juin 2015, le gouvernement tessinois vient de fixer le salaire minimum à 19 francs de l’heure. Il est conçu comme une mesure de politique sociale pour combattre la pauvreté dans le canton.

Le montant a été fixé avec une marge de plus ou moins 25 centimes, pour les 77 secteurs économiques considérés, et donnerait des salaires mensuels entre 3372 et 3462 francs pour 41,5 heures de travail par semaine. 10 000 travailleurs et travailleuses verraient augmenter leurs salaires. L’hebdomadaire syndical area a calculé qu’un salaire minimum de 20 francs de l’heure aurait permis d’augmenter les salaires de 14 627 travailleuses et travailleurs et qu’avec 21 francs de l’heure, les bénéficiaires seraient 20 370.

Pour le syndicat Unia, ce choix de salaire minimum au rabais constitue une opportunité manquée pour redonner de la dignité et l’accès au travail dans le territoire local aux résident·e·s. Le projet du Conseil d’Etat tessinois sera traité et soumis au vote du Grand Conseil, où les débats sur un thème lié aux questions du dumping salarial et des travailleurs·euses frontaliers·ères seront très suivis.

Extrait d’area, hebdomadaire d’Unia du 17.11.17, traduction TS