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Amazon : C'était le Red Friday

Vos écrans en débordaient le 24 novembre. Le Black Friday, jour tant attendu du consumérisme effréné, venu en droite ligne des Etats-Unis, a fait florès. C’est le jour choisi par les salarié·e·s d’Amazon en Italie pour se mettre en grève. Les travailleurs et travailleuses ont ainsi alerté le monde sur les conditions de travail de ceux et celles qui se trouvent derrière nos clics sur Internet.

Le site du capitalisme 4.0 à Castel San Giovanni (Piacenza) est aussi grand que 12 stades de football. Un énorme complexe, moderne, où les salarié·e·s vivent les conditions de travail des opprimé·e·s du 19e siècle: des horaires rigidement chronométrés, insupportables, contrôlant le corps des salarié·e·s ; des rythmes de travail insoutenables en 3×8 (6 h–14 h, 14 h 30–22 h 30, 23 h–6 h), où les transports des marchandises (plus de vingt kilomètres par jour) génèrent de nombreux accidents et maladies musculaires qui entraînent souvent le licenciement pur et simple des victimes ; le travail de nuit et le dimanche tout au long de l’année sont devenus pratiquement structurels ; sans parler du stress et de l’épuisement professionnel qui touchent un grand nombre d’entre eux et elles, contraints de quitter leur travail. Et tout ça pour 1000 à 1200 euros par mois.

A Castel San Giovanni, les travailleurs et travailleuses ont dit «assez!» et ont voulu frapper un grand coup, précisément le jour où les commandes d’Amazon explosent (1,1 million de commandes l’année passée pour le Black Friday sur amazon.it). Plus de la moitié des salarié·e·s fixes du site, soit environ 800 personnes, ont décidé de participer à la grève lancée par toutes les centrales syndicales italiennes. Amazon de son côté a fait appel à des intérimaires pour casser la grève. Cependant – et c’est dire le niveau d’exaspération atteint – une partie d’entre eux et elles ont également décidé de participer à l’arrêt de travail, malgré la crainte des rétorsions dans ce secteur d’emplois parmi les plus précaires. Pour le fondateur d’Amazon Jeff Bezos, la qualité de l’employé·e est liée à sa flexibilité et à sa motivation, toutes deux récompensées en nature (livres et cours de formation): pas question ici de parler de protection des travailleurs et des travailleuses, d’assurances sociales, de vacances payées, enfin de ce que l’on pensait acquis depuis les Trente Glorieuses.

Les revendications des salarié·e·s envoyées à la direction concernent bien entendu l’augmentation des salaires (en fonction aussi des énormes bénéfices d’Amazon), mais aussi les conditions de travail (et notamment la réduction de la rotation du personnel). Pour le moment, la direction d’Amazon n’a pas jugé utile d’entendre les salarié·e·s. Ils et elles ont donc décidé de refuser de faire des heures supplémentaires jusqu’au 31 décembre, c’est-à-dire dans une période clé pour Amazon. Le 11 décembre, une nouvelle assemblée syndicale du personnel aura lieu et la grève pourrait être reprise durant la période de Noël.

Dans cette société «liquide» où le capitalisme revient à sa phase «sauvage», à ses formes d’exploitations les plus anciennes, cette grève a été soutenue en Allemagne et en France sur plusieurs sites, laissant présager un retour en force d’une organisation large et globale des travailleurs et travailleuses. La suite de la mobilisation montrera si le capitalisme 4.0 sera pris à son propre piège. C’est tout ce qu’on lui souhaite en cette période propice aux vœux.

Stéfanie Prezioso