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Féminin - Masculin : Non Una di Meno - Une force féministe incontournable sur la scène politique italienne

Une force féministe incontournable sur la scène politique italienne

Cette année, la journée internationale contre les violences à l’encontre des femmes a été marquée dans de nombreux pays par des mobilisations féministes hors du commun. Un exemple remarquable parmi d’autres: les manifestations féministes en Italie. Pour mieux saisir l’importance de ce renouveau féministe et en comprendre la nature, solidaritéS donne ici la parole à Nadia De Mond, féministe marxiste italo-belge, membre du réseau Communia et activiste du mouvement Non Una di Meno.


Cortège national du 25 novembre, Rome

Une année s’est écoulée depuis l’émergence sur la scène politique italienne d’une nouvelle actrice. Il ne s’agit pas d’une organisation et encore moins d’un parti. Cependant, elle opère dans tous les secteurs de la société pour la transformer radicalement et en profondeur. Elle est formée par des dizaines de milliers de jeunes qui deviennent des militant·e·s pour la première fois de leur vie. C’est le nouveau mouvement des femmes* Non Una di Meno (N1DM). L’astérisque après le mot «femmes» appelle une explication. Il s’agit bien d’un mouvement conçu et dirigé par des (jeunes) femmes, mais c’est un mouvement qui inclut toutes les subjectivités sexuelles – LGBTQIA – et qui se définit comme féministe en précisant que les hommes peuvent y participer.

Une nouvelle génération est née

Surgi l’an passé en réponse à l’appel de nos sœurs argentines de Ni Una Menos, ce mouvement a d’emblée pris une ampleur inattendue en Italie: le samedi 26 novembre 2016, 150 000 femmes* ont envahi les rues de Rome en criant leur indignation face à toute forme de violences: sexuelles et de genre, domestiques, sociales, économiques, idéologiques, raciales, patriarcales et hétéronormatives… Une nouvelle génération de lycéennes, étudiantes, jeunes précaires s’est ainsi formée, se déclarant féministe, radicale et intersectionnelle [L’intersectionnalité est un concept sociologique visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race, réd.] – dans les pratiques sociales comme dans les mots. C’est une génération qui n’est prête à accepter aucune forme d’injustice ou d’oppression sociale et culturelle, qu’elle soit de nature raciale, de classe, de genre, d’origine ou autre.

Les organisatrices du mouvement – dont le noyau initial était composé par la coordination des collectifs féministes romains Io Decido et par la coordination des centres (refuges) contre les violences DIRE – ont dès le début inscrit leur mouvement dans la durée en convoquant le lendemain de la manifestation une assemblée générale (suivie par 1 500 femmes*) et en se donnant comme objectif d’élaborer un Plan féministe de base contre les violences faites aux femmes. Plus qu’un simple plan critique et d’opposition au Plan du gouvernement, N1DM a produit, à travers neuf commissions thématiques et cinq assemblées nationales, un véritable Manifeste politique qui concerne tous les aspects de la vie des femmes* et qui analyse les mécanismes de l’oppression structurelle dont la violence physique n’est que la partie visible. Le Plan comprend aussi bien une vision d’ensemble que des mesures concrètes concernant par exemple les lois sécuritaires qui empêchent une insertion digne et légale des immigrées ou les récentes mesures qui précarisent de plus en plus le marché du travail (Jobs Act) et aggravent l’exploitation des travailleuses.

A la suite de l’énorme succès de la manifestation du 26 novembre 2016, des assemblées N1DM se sont constituées dans des dizaines de villes. Elles ont repris les grands thèmes des commissions de travail et les ont articulés à des actions locales spécifiques. Par exemple: la question de l’objection de «conscience» des médecins anti-avortement, la discrimination des travailleuses ou le harcèlement dans les lieux de travail, l’éducation androgène dans les écoles, ou encore le sexisme dans les médias.

Un nouveau défi a été relevé avec la prise en charge de la journée du 8 mars par N1DM qui a bouleversé la routine, faite de paroles vides et de mimosas. Cette année, N1DM a une nouvelle fois répondu à l’appel international à la grève des femmes. Une grève à mettre en œuvre dans les entreprises, mais aussi dans le travail reproductif, non rétribué et rendu invisible (domestique et de soin), et par rapport à toutes les discriminations liées aux genres. Le logo, les slogans et les vidéos qui expliquaient les raisons et les modalités de la grève ont inondé les médias sociaux. Cela a été un succès en Italie et au niveau international.

Pour un féminisme inclusif

Pendant ce temps, les travaux pour l’écriture – collective et d’en bas – du Manifeste ont continué et ont culminé finalement dans le Plan (56 pages) que nous avons présenté le 25 novembre, quand N1DM est descendu de nouveau dans les rues de la capitale.

Tout en étant un mouvement très politisé – qui présente une alternative globale de société, solidaire, écologique, internationaliste, anticapitaliste et antipatriarcale – N1DM sauvegarde soigneusement son autonomie par rapport au scénario politique traditionnel. Aucun des outils politiques déjà existants – partis, syndicats… – n’est considéré comme utilisable pour la réalisation de notre Plan. Au contraire, N1DM se méfie beaucoup de l’instrumentalisation du discours féministe par ces organisations. Le mouvement préfère créer ses propres moments de mobilisation, à partir de son propre programme, avec ses propres modes d’expression et d’organisation, inclusifs, mais subordonnés à personne. En même temps, il pratique des formes d’auto-organisation, souvent de désobéissance civile, par rapport aux lois injustes, pour répondre aux exigences immédiates des femmes, en matière de contraception et d’IVG, refuges, logement, création de revenus, défense des conditions de travail, etc.

Notre prochaine échéance, nationale et internationale, sera le 8 mars 2018 où nous répéterons – élargissant l’expérience – la grève des femmes. Nous répondrons de nouveau «presente» à l’appel des femmes argentines.

Nadia de Mond