Féminin - Masculin

Féminin - Masculin : Les crimes contre les femmes syriennes dans les prisons d'Assad

Le documentaire Syrie, le cri étouffé, diffusé le 12 décembre sur France 2, a rappelé le calvaire qu’endurent les femmes dans les geôles du régime Assad et a particulièrement suscité l’émotion.


Extrait du film Syrie, le cri étouffé de Marion Loizeau

Les viols, arme de répression du régime Assad

Les viols ont constitué une puissante arme de répression des services de sécurité et des miliciens du régime Assad depuis le début du soulèvement populaire en mars 2011. Dès le printemps 2011, des femmes ont été agressées et/ou violées par des miliciens profitant des barrages installés dans les rues. Pire, des milices pro-régime ont organisé des campagnes de viols à l’intérieur des maisons, en présence des familles. Des filles ont été violées devant leur père, des femmes devant leur mari.

Les femmes détenues dans les prisons du régime ont subi des sévices inhumains. Leurs corps sont devenus, pour les hommes au service d’Assad, des champs de torture, de bataille et d’humiliation ; utilisés comme arme de guerre «pour briser les familles, briser la société et briser enfin la révolution», selon Marion Loizeau, réalisatrice du documentaire Syrie, le cri étouffé.

Différentes organisations de défense des droits humains parlent de dizaines de milliers de viols dans les prisons du régime de Damas. Dans de nombreux cas, les femmes survivantes veulent éviter le stigmate du viol et des violences sexuelles. Pour cette raison, il est difficile de documenter les traitements dégradants et les actes de torture subis par les femmes en prison. Mais nul doute ne subsiste sur le fait qu’il s’agit d’un crime de grande ampleur, organisé et planifié par des organes de l’Etat. Sa nature systématique en fait un crime contre l’humanité.

Double peine, rejet social

Les femmes emprisonnées se retrouvent doublement victimisées et isolées: humiliées par le régime et rejetées par leur famille et la société. Le rejet va parfois jusqu’au meurtre. Les structures patriarcales de la société viennent renforcer la torture organisée par le régime Assad: le viol est sciemment utilisé pour «déshonorer» l’ensemble de la famille, voire le clan ou le quartier, se basant sur le stéréotype sexiste que l’honneur d’une famille repose sur la respectabilité des femmes qui en font partie.

L’injustice est à son comble: la femme est coupable d’être victime, ou supposée telle, puisque la simple détention dans un centre de renseignement équivaut à une présomption de viol. Les familles explosent souvent. Des maris rejettent leurs épouses et divorcent. Des parents se précipitent pour marier leur fille au premier volontaire venu, fût-il âgé et déjà marié, pensant à tort qu’un mariage, même précoce, sera une protection contre les violences sexuelles. Les crimes «d’honneur» et suicides d’ex-détenues sont devenus fréquents.

Marion Loizeau explique que ces «femmes parlent parce qu’il y a encore des milliers de femmes syriennes en prison. Elles espèrent que les bourreaux seront mis en prison», preuve que même les tortures du régime Assad ne parviennent pas à détruire la détermination des survivantes dans leur quête de justice et de réparations. Depuis 2011, environ 65 000 Syrien·ne·s auraient disparu, probablement victimes d’arrestations arbitraires, selon les estimations du réseau syrien des droits de l’homme (SNHR).

L’idée du sexe comme conquête, associée à la masculinité toxique, est intégralement connectée avec la sexualisation de la domination. Dans l’histoire, les conquêtes militaires et les répressions se sont souvent accompagnées de mesures de contrainte et de crimes sexuels. Comme le notait la féministe marxiste Angela Davis, «c’était la politique non écrite du commandement états-unien au Vietnam d’encourager systématiquement le viol, car c’était une arme de terrorisme massif extrêmement efficace». Durant la Seconde Guerre mondiale, l’armée japonaise a asservi des Chinoises, des Coréennes, des Taiwanaises et d’autres femmes des territoires conquis comme des esclaves sexuelles, ou «femmes de réconfort», souvent présentées comme des «trophées de guerre». De même, les geôliers des prisons israéliennes utilisent différentes formes de harcèlement sexuel et d’humiliations contre les prisonnières palestiniennes. Le harcèlement sexuel et l’humiliation dans toutes ses formes, y compris viols et/ou tentatives de viol, visent à dissuader les femmes de participer aux luttes et à asseoir la domination de la puissance répressive.

«L’injustice, pour la femme, c’est d’être punie par la société et le régime. Le régime la viole et la société la rejette», résume une victime. C’est pourquoi la lutte contre les dictatures et leurs actes de barbarie doit s’accompagner d’une lutte contre les différentes formes d’exploitation et d’oppression dans la société, en l’occurrence contre le système patriarcal et sexiste.

Joe Daher