L'université suisse jetée en pâture au capital

Entre hausse des frais d’inscription et généralisation des investissements privés, les autorités helvétiques appliquent consciencieusement leur programme de marchandisation de l’université.


Rassemblement contre la hausse des taxes à l’Université de Fribourg, novembre 2017

Octobre, la nouvelle tombe: dès la rentrée 2018, les frais d’inscription à l’Université de Fribourg passeront de 1310 à 1664 francs par an (voir solidaritéS nº 318 et 319). Soit près de 30 % d’augmentation pour l’université la plus chère de Suisse romande. Les doctorant·e·s ne sont pas épargnés: en plus des 230 francs d’émoluments de base, il leur faudra s’acquitter de frais d’inscription de 360 francs par an.

L’argument du rectorat? Il manque quelques millions à l’UNIFR et le Conseil d’Etat refuse de les lui octroyer. L’argument du Conseil d’Etat? Les universités doivent s’autonomiser.

Cette ligne de défense trahit une vision néolibérale de l’université, qui se généralise en Suisse depuis plusieurs décennies. L’augmentation des frais d’inscription s’insère dans une vaste offensive des milieux conservateurs contre un enseignement et une recherche démocratiques, émancipateurs et échappant à la logique du marché.

Augmentations en série

Rappel: en 1991, la Suisse a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L’article 13 stipule que les Etats parties s’engagent à instaurer de manière progressive la gratuité de l’enseignement supérieur. Depuis, la tendance est pourtant à l’augmentation.

En 1998 déjà, les étudiant·e·s de Neuchâtel se sont mobilisés contre le passage des frais à 1000 francs. Dans les années 2010, le processus s’accélère. Depuis 2015, une année à l’EPFL coûte 1266 francs et devrait atteindre 1660 en 2020. L’EPFZ suit la même courbe. En 2016, l’UNIGE tente, sans succès, d’instaurer une taxe d’immatriculation de 50 francs. Sans parler des universités alémaniques, aux frais bien plus élevés (tableau ci-contre).

Comment expliquer ces hausses? Les cantons suisses manqueraient-ils d’argent au point de devoir réduire le financement de l’éducation supérieure? En 2015, les recettes des 26 cantons atteignaient un record de 86 milliards. Le budget du canton de Fribourg s’élève à 3,5 milliards pour 2018 et celui du canton de Vaud à 9,5 milliards. L’augmentation des taxes universitaires permet de récolter quelques millions de francs. Elle relève donc d’un choix politique: limiter les dépenses de l’Etat en privatisant les services et les institutions publics.

Soumettre l’université au marché

Le Conseil d’Etat fribourgeois parle d’autonomisation, comprenez privatisation des universités et de la recherche, comprenez désengagement de la collectivité. Parallèlement à la hausse des taxes, les fonds privés occupent une place croissante dans le budget des universités. En 2006, la recherche suisse est financée aux trois-quarts par des entreprises, et en 2012, les fonds privés atteignent en moyenne 20 % dans le financement des universités.

Concrètement, UBS a investi 100 millions de francs en 2012 pour la création de cinq postes de professeur·e·s à l’institut d’économie politique de l’Université de Zurich. En 2009, à Fribourg, le mécène Adolphe Merkle injectait 100 millions dans la création d’un institut universitaire consacré à la recherche sur les nanomatériaux.

Pour une recherche indépendante, détachée des préoccupations de rentabilité et libre de choisir ses objets d’investigation, on repassera. Le marché et les entreprises vont désormais se charger de dicter leurs préoccupations aux scientifiques et exiger des résultats.

L’idéologie néolibérale se retrouve dans le vocabulaire utilisé pour qualifier les universités et les universitaires. A Fribourg, le Conseil d’Etat parle de «profilage», d’«assurance qualité» et de «position sur les plans national et international». La Confédération voit les hautes écoles universitaires comme «des employeurs très attrayants» en concurrence, et se félicite de la très haute «productivité» de ses scientifiques.

Une telle politique non seulement entrave l’accès aux études supérieures, mais s’en prend à la production du savoir. Ses tenant·e·s voient l’université non comme un outil d’éducation citoyenne et d’empowerment, mais comme un lieu de formation professionnelle réservé à une élite économique.

Dans les années 1970, à Vincennes, des amphithéâtres bondés et enfumés écoutaient Gilles Deleuze, Tzvetan Todorov ou Jacques Rancière. On venait sans avoir son bac. On venait apprendre et échanger pour s’émanciper et penser un autre monde. Les stratégies actuelles visent à enterrer pour de bon le souvenir de ces expériences.

Ursula & Guy Rouge


Les frais d’inscription en 2017 dans les universités et EPF suisses

Coût d’une année de Bachelor, hors formations particulières et sans compter d’éventuels frais d’admission ou d’examens, en francs.

Etudiant·e suisse Etudiant·e non suisse
Genève 1000 1000
Neuchâtel 1030 1580
Lausanne 1160 1160
EPFL 1266 1266
EPFZ 1300 1300
Fribourg 1310 1610
Zurich 1548 2548
Berne 1568 1568
Lucerne 1600 1600
Bâle 1700 1700
Saint-Gall 2452 6252
Uni. de la Suisse italienne 4000 8000