Felix Austria, vraiment?


Heinz-Christian Strache – Franz Johann Morgenbesser

Le nouveau gouvernement autrichien, composé des conservateurs (ÖVP) de Sebastian Kurz et de l’extrême droite de Heinz-Christian Strache (FPÖ), a le sens du symbole. Et quand un tel duo politique fait dans la symbolique, c’est du lourd. Le programme de l’alliance gouvernementale, de plus de 180 pages, a ainsi été dévoilé au mont Kahlenberg, près de Vienne, d’où partit la reconquête de l’Europe centrale sur les forces ottomanes en 1683. L’ennemi est ainsi clairement désigné et la priorité du gouvernement affirmée: la lutte contre l’islam politique et les réfugié·e·s, que Strache propose de soumettre à un couvre-feu, accompagné de ce qui ressemble fort à un internement.

Dans sa jeunesse, Strache fut un militant néonazi. Goguenard, il affirme aujourd’hui ne pas pouvoir garantir qu’il ne circulerait pas de photo de lui faisant le salut hitlérien. Son parti politique a été largement choyé par Sebastian Kurz, bien au-delà de l’arithmétique électorale. Non seulement Strache est vice-chancelier, mais deux ministères dits régaliens sont détenus par le FPÖ, l’Intérieur et la Défense. Ce qui traduit un accord politique profond entre les deux courants et permet à Strache de dire que le gouvernement est à 75 % un exécutif du FPÖ, puisque l’ÖVP de Kurz s’est en bonne part rallié à son programme.

Cette situation politique repose en partie sur une particularité de l’histoire autrichienne. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la dénazification y fut plus que superficielle: en 1948, une amnistie s’applique à un demi-million de membres du parti nazi et en 1949, seize néonazis siègent au premier parlement élu. Tout cela alors que la mythologie officielle fait de l’Autriche un pays victime du nazisme. C’est ce mensonge fondateur et cette hypocrisie que dénonceront en littérature l’imprécateur Thomas Bernhard et la lauréate du prix Nobel Elfriede Jelinek.

Toutefois, si l’on compare les réactions entraînées par la constitution de la première alliance entre la droite et l’extrême droite en 2000 – lorsque l’Union européenne avait appelé au boycott du pays – et celles d’aujourd’hui, où le président de la Commission européenne Juncker approuve «presque complètement» le programme du tandem Kurz-Strache, il y a une nette différence. Elle ne doit rien à l’histoire de l’Autriche, mais traduit ce que l’on appelle la banalisation de l’extrême droite. A condition que l’on ne réduise pas cette banalisation aux efforts faits par ce camp pour augmenter son acceptation médiatique, mais que l’on considère conjointement l’adaptation des forces politiques dominantes aux revendications de ces partis. Un double processus que nous connaissons bien en Suisse, avec l’UDC.

Et ses têtes pensantes, si l’on peut dire, ne s’y sont pas trompées. Le conseiller national UDC Roger Köppel, qui dirige l’hebdomadaire alémanique Die Weltwoche, a consacré un éditorial plus que louangeur à cette «liberté» venue de l’Est, mettant dans un même sac l’Autriche et les pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), qui, tous, ont mis en tête de leurs préoccupations la lutte contre l’islamisation, l’immigration «incontrôlée» et la défense des racines chrétiennes de l’Europe.

Köppel, ancien journaliste sportif raisonnant souvent comme les brailleurs du Café des Sports, explique que l’origine de ce vent de liberté vient de l’expérience faite par ces pays sous le régime soviétique, ce qui leur a permis de détecter une nouvelle prison des peuples dans l’Union européenne… On aurait donc tort de prendre le Premier ministre hongrois Viktor Orbán pour un populiste, voire un extrémiste de droite. Ancien responsable des Jeunesses communistes dans son gymnase, c’est un vrai démocrate, car, comme il l’a confié à l’hebdomadaire zurichois, «chaque Hongrois est un combattant de la liberté». Nul doute qu’il y en va de même pour les Polonais du liberticide Parti du droit et de la justice au pouvoir à Varsovie.

La proposition de Strache d’introduire en Autriche un référendum similaire à celui de la Suisse, pour en faire un usage politique semblable à celui de l’UDC, est vue par la Weltwoche comme une helvétisation bienvenue de la république alpine. Le journal applaudit aussi la volonté de Kurz de créer un groupe de «Visegrád Plus» auquel appartiendrait l’Autriche et la Slovénie. Ces acclamations de l’évolution «absolument positive» à l’Est figurent dans un article titré «Felix Austria». Littéralement «Autriche heureuse», cette maxime fut celle de l’absolutisme de la Sainte-Alliance du prince Metternich, de la glaciation contre-­révolutionnaire de toute l’Europe au début du 19e siècle. Belle référence pour nos soi-­disant démocrates de l’UDC! Qui doivent apprécier comme il se doit l’accueil «à l’autrichienne» des réfugié·e·s, avec saisie de leur argent, contrôle de toutes les données contenues dans leur téléphone portable et levée du secret médical si nécessaire. C’est à des signes pareils que l’on voit que la démocratie et la liberté sont en marche…

Daniel Süri