Dans le labyrinthe de la tarification médicale

La polémique sur la tarification des actes médicaux et sur le revenu des médecins atteint les sommets de l’Etat. Retour sur quelques enjeux du débat.


Shejal Pulivarti

Des salaires annuels proches d’un million de francs pour des médecins? «Pas acceptable», s’est indigné Alain Berset. «Qui peut justifier un tel salaire sur le dos des gens qui paient des primes?», a ajouté le président de la Confédération, dont on sait l’intérêt pour le sort des pauvres gens.

Depuis quelques semaines, la polémique initiée par le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia enfle. Elle forme la partie visible d’un débat plus large sur les coûts de la santé. Pour limiter ces derniers, le Conseil fédéral a imposé une nouvelle tarification des actes médicaux – le Tarmed (voir encadré) –, entrée en vigueur le 1er janvier 2018.

Saucissonner les consultations

Le Tarmed 2018 revoit le prix de certains actes à la baisse. Il introduit aussi des limitations. Pas plus de 20 minutes de consultation simple, ou 30 minutes pour les patients de plus de 75 ans et/ou «nécessitant plus de soins», une notion mal définie.

Là où facturer une consultation de plus de 30 minutes était auparavant possible, sans restriction, il faut désormais utiliser plusieurs items, et donc saucissonner chaque consultation. Or chronométrer le temps passé avec un·e patient·e est facile grâce à l’informatique, mais le redécouper entre consultation simple, information et prévention est plus compliqué: la nuance entre les différents temps est affaire d’interprétation, et le·la médecin ne peut pas multiplier les chronomètres tout en restant concentré sur son patiente.

Une autre grande nouveauté du Tarmed 2018 est le passage de la comptabilité des absentia – travail en l’absence du patient – à la minute, et non plus aux 5 minutes, avec là encore d’importantes limitations.

Le problème du paiement à l’acte

Mais la polémique actuelle vise surtout certaines spécialités. La médecine générale-interne, la pédiatrie ou la psychiatrie, par exemple, ont peu d’actes à développer, alors que les cardiologues, radiologues ou dermatologues disposent d’une plus large palette. Et les actes sont plus ou moins rémunérateurs: certains sont d’emblée surévalués, d’autres sont devenus plus rapides grâce aux évolutions techniques – il est alors possible d’en faire plus dans une même journée – d’autres encore ont vu leur coût diminuer, les rendant plus rentables.

Cela souligne le problème du paiement à l’acte. Les actes rémunérateurs sont développés en ambulatoire, que ce soit en clinique ou en cabinet, comme les actes de chirurgie avec de faibles risques de complications. Les moins lucratifs sont réorientés vers le public, comme les patient·e·s les moins rentables – du fait de leur pathologie ou de difficultés psycho-socioculturelles.

Dès lors, le revenu des médecins est une question qui mérite d’être soulevée, au même titre que les salaires des cadres du monde de l’assurance médicale. Mais il convient d’aborder d’autres problèmes. Une clarification de la tarification s’impose, pour que les patient·e·s puissent la comprendre et la contester en cas de surfacturation, de même qu’une réflexion sur les moyens de limiter les actes inutiles – aussi difficile que puisse être, dans le présent de la prise en charge, la distinction entre un acte visant à rassurer médecins et patients et un acte destiné à gonfler la facture. Enfin, il faut réfléchir sur l’inégalité de «rentabilité» des pathologies et des patient·e·s, qui viennent souvent renforcer des inégalités d’accès aux soins.

Alix Aubert


Le Tarmed

Il répertorie, sur plus de 4000 pages, les actes médicaux et leur coût. Par exemple, 5 minutes de consultation chez un généraliste valent 18,61 points. Les prix s’obtiennent en multipliant la valeur de l’acte par la valeur du point du canton (0,95 pour Vaud) et celle du point du·de la médecin: 1 pt pour les médecins FMH, 0,93 pour les médecins praticiens. Soit un peu plus de 17 francs pour les premiers·ères et un peu plus de 16 francs pour les second·e·s.

Le Tarmed résulte de négociations entre médecins, assurances et hôpitaux. Depuis 2013, le Conseil d’Etat a la possibilité de modifier lui-même les tarifs si les partenaires ne parviennent pas à un accord. C’est ce qui s’est passé pour la version 2018, entrée en vigueur le 1er janvier. AA


L’exemple à ne pas suivre des dentistes

Une enquête de la Fédération romande des consommateurs (FRC) datée de 2015 révèle «d’alarmantes disparités» de tarification des dentistes en Suisse. Avec des écarts de plus de 30 % et «des attitudes qui relèvent du non-respect de l’éthique professionnelle», cette enquête démontre qu’une approche «ultralibérale» de la santé est le pire modèle qui soit.

Chacun·e paie de sa poche, indépendamment du revenu. Un modèle qui exclut 25 % de la population des cabinets de dentistes, qui contraint d’aller à l’étranger ou de renoncer par manque de moyens. Sans parler des personnes qui se serrent la ceinture, voire s’endettent. «Ne changeons pas un système qui fonctionne», défend le lobby des dentistes dans la campagne vaudoise pour le remboursement des soins dentaires. Cherchez l’erreur… SéS