8 mars

8 mars : Six millions de manifestant·e·s et une grosse commotion politique

Tu ne connais sûrement rien de moi, même pas mon nom. Je suis une femme parmi tant d’autres. Et aujourd’hui, plus que jamais, je le dis avec orgueil. Une de celles, si nombreuses, qui ont organisé ou soutenu la grève et qui ont manifesté ce 8 mars dans le monde entier. Ce jour-là, nous étions toutes en première ligne. Oui, je suis une de ces nombreuses femmes. C’est ma grandeur. Ni plus, ni moins.


Daniel Lopez Garcia

De nombreuses femmes dans l’Etat espagnol le ressentent: nous avons fait descendre dans la rue 6 millions de personnes. La justice et l’universalité de nos revendications, les luttes ouvrières dirigées par des femmes et nos victoires, notre force et notre fermeté pour organiser la grève – grâce à des assemblées hebdomadaires dans de nombreux endroits – ont fait que, cette année, le jour de la femme travailleuse s’est transformé en événement historique. Débordant le gouvernement, les partis qui lui sont proches et, point très important, les bureaucraties syndicales.

Environ un mois avant le 8 mars, le Premier ministre Mariano Rajoy – du Partido Popular (PP), de droite – avait déclaré qu’il ne fallait pas s’occuper des différences salariales entre les hommes et les femmes. Le PP a été obligé de rectifier ce point, ce qui ne l’a pas empêché de qualifier la grève de non solidaire, élitiste, cherchant l’affrontement entre hommes et femmes. Il a aussi expliqué qu’il ne partageait pas les critiques du pacte d’Etat contre la violence de genre et contre le capitalisme, critiques «qui prétendent rompre avec notre modèle de société occidentale». De son côté, Ciudadanos (centre droit, réd.) – par la voix de Inès Arrimadas, candidate aux élections catalanes du 21 décembre 2017 – a expliqué ne pas appuyer la grève, car il s’agissait d’une activité anticapitaliste, pas d’une activité féministe. Mais grâce à la mobilisation populaire et au succès indéniable de la grève, tous ont mis le nœud féministe à leur revers pour venir aux rassemblements du 8 mars.

Les femmes n’ont pas attendu l’aval des bureaucraties

L’anticapitalisme a gagné cette bataille, contre les bureaucraties syndicales aussi. La gauche radicale et les mouvements sociaux se demandaient comment appeler à une grève générale, sans dépendre d’initiatives prises par les syndicats majoritaires, Unión General de los Trabajadores (UGT) et Comisiones Obreras (CC.OO). Lorsque nous ne nous en sentions pas capables ou que nous le faisions timidement, on se mobilisait pour faire pression sur l’UGT et les CC.OO.

Cette fois, ce fut différent. Les femmes n’ont pas attendu, elles ont avancé avec vaillance et sans complexes. Nous avons pu compter sur l’appui de syndicats minoritaires comme la Confederación General del Trabajo [ndt: anarcho-syndicaliste]. L’impulsion et l’appui international ont joué un rôle clé.

Cette participation massive dans l’Etat espagnol est due à plusieurs facteurs. Nous avions réussi à mettre le débat féministe sur la table, lorsque les mobilisations contre le projet de loi sur l’avortement ont renvoyé à la maison le ministre de la Justice, Ruiz Gallardón. Il s’est développé sur plusieurs fronts: les différences salariales entre hommes et femmes, les chiffres scandaleux des féminicides (avec des rassemblements puissants dans tout l’Etat, lors de chaque cas), les agressions machistes médiatisées comme le viol collectif d’une femme à la fête des San Fermines (Pampelune, Navarre), ou le viol et l’assassinat de Diana Queer. Ces faits avaient créé une conscience, une rage et un tissu de mobilisation féministe. D’autre part, la vague de mobilisations depuis le 15 mai 2011 (mouvement des Indigné·e·s) a montré la voie et fait mûrir le mouvement.

L’acquis de luttes victorieuses

Les femmes ont joué un rôle fondamental dans des luttes victorieuses: les «Kellys» (pour La que limpian «celle qui nettoie», soit les femmes de chambre, réd.), les ‹ spartiates › de Coca-Cola, les travailleuses de Inditex (Pontevedra) et des maisons de retraite dans la province de Bizkaya, les enseignantes intérimaires de Madrid. Car la lutte féministe n’est pas déconnectée des autres luttes ouvrant des brèches dans le système capitaliste. La grève des travailleuses de la fabrique de Cotton (New York) a inspiré cette journée et poussé d’autres femmes à la grève, comme quelques mois plus tard les 20 000 ouvrières du textile. Cette année, grâce au succès de l’appel à la grève, nous avons récupéré l’esprit de ces travailleuses et de Clara Zetkin, créatrice de cette journée. Notre grève a inspiré et renforcé d’autres mobilisations, alors que le gouvernement prétendait avoir fait taire notre mouvement et contrôler la situation, après la défaite subie par la lutte pour l’indépendance de la Catalogne.

La mèche était prête, la flamme violette s’est rallumée. Les enseignant·e·s intérimaires d’Andalousie, dont la bataille est exemplaire, se sentent plus fortes dans leur grève, avec des mobilisations dans plusieurs villes. Depuis des mois, les retraité·e·s s’organisent pour exiger des rentes dignes: ils et elles ont convoqué plusieurs manifestations spectaculaires, dont la dernière a eu lieu le samedi 17 mars. Voyant le succès de ces mobilisations, les CC.OO et l’UGT ont pris le train en marche. Les choses changent. Il y aura indéniablement un avant et un après ce 8 mars historique. Les cœurs et les poings sont colorés de violet, les rues de nouveau remplies de personnes convaincues que la lutte paie, alors que le gouvernement est une nouvelle fois secoué et que les bureaucraties syndicales restent en état de choc.

Marta Castillo Segura

Accion anticapitalista, Séville. Traduction de l’espagnol: Hans-Peter Renk. Titre et sous-titre de la rédaction.