Une pollution cachée durant des années

«Valais où le Rhône a son cours […] C’est toi, mon beau Valais.» Au refrain de l’hymne valaisan, il convient de rajouter une strophe: «Pollué pendant des années par Lonza et Alusuisse». Après des années de silence de la part de l’entreprise chimique et des autorités valaisannes, la pollution au mercure et des maladies engendrées par celle-ci est exposé au grand jour. Retour sur un scandale vieux de plusieurs décénnies.


BioAlps Association

La vérité aurait pourtant pu surgir plus tôt. En effet, la prestigieuse Schweizerische Medizinische Wochenschrift (Revue médicale suisse) avait publié en 1952 une étude du Dr Paul Burgener (décédé en 1951) sur les intoxications chroniques au mercure: elle analysait plus de 250 cas survenus entre 1917 et 1950.

Grand-père de l’ex-conseiller d’Etat social-démocrate Thomas Burgener, ce médecin généraliste de Viège avait «affronté de nombreuses résistances pour faire reconnaître cette maladie professionnelle», les assurances (dont la SUVA, créée en 1918) ne remboursant pas alors ce type de maladies. Pire, on considérait souvent que les malades simulaient.

Finalement, un demi-siècle plus tard, l’ampleur de la catastrophe a été révélée par une enquête de la RTS, du Nouvelliste, du Temps et du Walliser Bote. En août 2011, le service cantonal de l’environnement a publié un rapport (resté confidentiel) sur la contamination de terrains par le mercure. En septembre 2014, l’émission Temps présent a permis de médiatiser cette situation. Mais il aura fallu une sentence du Tribunal cantonal valaisan, le 10 octobre 2017 (après un recours porté par la RTS) pour forcer le Conseil d’Etat valaisan à rendre ce rapport public.

Rapport contesté

Ce rapport révèle que dans la région de Viège, une centaine de parcelles situées dans des zones habitées ont été contaminées à des degrés divers. A l’époque, Lonza avait été autorisée par le canton à utiliser le canal comme dépotoir. Les communes traversées par le cours d’eau étaient chargées de le nettoyer régulièrement. Les milliers de mètres cubes de sédiments produits par ces curetages ont été utilisés comme engrais par les paysan·ne·s et les habitant·e·s, en faisant confiance à une entreprise offrant de nombreux emplois.

Lonza a finalement avoué avoir rejeté 50 à 60 tonnes de mercure dans le canal longeant ses infrastructures, pour la période allant de 1930 à 1976. Mais ce chiffre est contesté par l’association Médecins en faveur de l’environnement (MfE), à Bâle, qui l’estime à 200 tonnes!

Certes, Lonza devra enfin passer à la caisse pour réparer les dégâts causés pendant des décennies: suite à un accord avec l’Etat du Valais, elle financera plus de 93 % du coût d’assainissement des terrains, estimé à 51 millions de francs. Canton et communes paieront 3,5 millions de francs. Quant à croire, comme l’affirme Le Temps (11.12.2017), que cette convention «clôt le débat sur les responsabilités de la plus importante pollution au mercure de l’histoire du pays», c’est aller un peu vite en besogne.

Hans-Peter Renk


Un article révélateur…

« La LMR essaie de discréditer systématiquement l’industrie suisse. Son organe a, à ma connaissance, déjà attaqué Ciba-Geigy et Lonza, maintenant c’est notre tour. Il est inévitable qu’une grosse industrie, particulièrement dans la branche métallurgique et chimique cause certains dégâts à l’environnement. Tous les cas qui nous sont signalés – et ils sont peu nombreux – sont examinés et dédommagés en accord avec le forestier et le vétérinaire cantonaux.

Il est vrai que nous avons acheté des terrains au-dessus de Chippis. Nous l’avons fait afin de montrer aux paysans méfiants que l’on peut y planter des abricots et y élever du bétail et des abeilles. Nous avons affermé ces terrains et en retirons des produits de qualité irréprochable pour notre cantine. Nos installations d’absorption des émanations gazeuses peuvent être considérées comme les meilleures selon l’état actuel de la technique. D’ailleurs, ni le service social cantonal ni les inspecteurs n’ont quoi que ce soit à reprocher à nos usines.»

M. Syz, directeur d’Alusuisse-­Valais, Tages Anzeiger, 4.8.1973


À lire

L’autre pollueur du Valais, Alusuisse, a fait l’objet d’articles publiés par La Brèche, organe de la Ligue marxiste révolutionnaire:

  • «‹ Nos › lacs, nos rivières, la grande industrie et le mercure!», La Brèche, nº 70, 30.5.1973
  • «La violence des pollueurs: Alusuisse», La Brèche, nº 71, 15.6.1973
  • «Pollution: Alusuisse avoue», La Brèche, nº 73/74, juillet–août 1973
  • «Pollution: Alusuisse ment… à nouveau!», La Brèche, nº 80, 16.10.1973

Ces informations ont été reprises par la revue alternative valaisanne Le Binocle [1971 – 1978].

Voir aussi

  • Comité Uni-Brèche, «Pollution: mythe et réalités», La Brèche, nº 49, 1972
  • Joël Varone, «1954: trois jours de grève aux usines d’aluminium de Chippis», Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier, 28/2012, pp. 63–77.
  • Grégoire Favre et al., Mémoires ouvrières: ouvriers d’usine et industries en Valais. Sion, Editions Monographic, 2011.
  • Temps présent, 11.9.2014: «Alerte au mercure: un scandale valaisan», rts.ch
  • Déclaration des Verts-VS (mars 2018), verts-vs.ch